L'Affaire Toulaev by Victor Serge

L'Affaire Toulaev by Victor Serge

Auteur:Victor, Serge [Victor, Serge]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Russe
Éditeur: Alexandriz
Publié: 2012-03-03T23:38:46+00:00


Des téléphones transmettaient l’importante nouvelle. À 6 h 27 du matin, Zvéréva, réveillée elle-même par sa secrétaire, informa par fil direct le camarade Popov : « Erchov avoue… » Zvéréva, couchée dans son grand lit en bois doré de Carélie, déposa l’écouteur sur la table de nuit. Obliquement incliné vers elle, un miroir limpide lui renvoyait une image d’elle-même dont elle n’était jamais lasse. Les cheveux teints, lisses et longs, lui entouraient le visage jusqu’au menton d’un ovale noir presque parfait. « J’ai la bouche tragique », pensait-elle, à voir le pli jaunissant de ses lèvres qui confessaient de la honte et de la rancune. Elle n’avait de vraiment humain, dans un visage couleur de vieille cire, aux rides soigneusement massées, que les yeux – sans cils ni sourcils – qui étaient d’un noir de suie. Leur opacité n’exprimait dans la vie quotidienne qu’une dissimulation définitive. Dans le tête-à-tête du miroir, ils exprimaient un égarement dévorant. Zvéréva rejeta brusquement les couvertures. À cause de ses seins vieillis, elle dormait avec des soutiens-gorge en dentelle noire. Son corps lui apparut dans le miroir, encore pur de lignes, long, souple, mat, comme d’une mince Chinoise, « d’une esclave chinoise telle qu’il y en a dans les maisons closes de Kharbine ». Les paumes de ses mains sèches suivirent la courbe de ses hanches. Elle s’admira : « J’ai un ventre étroit et cruel… » Sur le mont de Vénus, elle n’avait qu’une touffe aride ; dessous, les plis secrets étaient tristes et serrés ainsi qu’une bouche délaissée… Vers ces plis glissa sa main, tandis que son corps se cambrait, que son regard se voilait, que le miroir s’amplifiait et se remplissait de vagues présences. Elle se caressa doucement. Au-dessous d’elle flottèrent dans un vide exécrable des formes confondues de mâles et de très jeunes femmes brutalement possédées. Son propre visage en transe, les yeux mi-clos, la bouche entrouverte s’exalta un moment devant lui-même. « Ah, je suis belle, ah, je… » Elle s’affaissa, secouée du talon à la nuque par un grand tremblement, dans sa solitude. « Ah, quand aurai-je… » Le téléphone grinçait. Ce fut le chuintement fade du vieux Popov :

– Mes fé-fé-fé-félicitations… L’instruction a fait un grand pas… Maintenant, camarade Zvéréva, pré-préparez-moi le dossier Roublev…

– Dès ce matin, camarade Popov.



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