La Ville Noire by George Sand

La Ville Noire by George Sand

Auteur:George Sand [Sand, George]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Tags: Romans
Éditeur: Les Bourlapapey Bibliotèque numérique romande
Publié: 2014-04-22T17:12:00+00:00


X

Va-sans-Peur était un très-honnête homme, très-attaché à son devoir, mais très-emporté quand le travail lui excitait les nerfs. Il avait défendu chaudement toute sa vie la dignité et la liberté de l’ouvrier contre l’exigence des patrons ; mais quand il se vit patron lui-même, c’est-à-dire autorisé à diriger la fabrication à la baraque, il changea du jour au lendemain, avec la naïveté des hommes que le manque d’éducation et de réflexion abandonne sans réserve à l’instinct du moment. Il parlait durement à ses anciens camarades, il exigeait des apprentis plus qu’ils ne pouvaient savoir, il ne souffrait pas une observation, et passait avec trop de facilité du reproche à la menace. Bref, l’atelier était à peu près désert quand, après une de ses tournées dans la plaine, Sept-Épées y rentra, et, quand il questionna Va-sans-Peur, celui-ci, accusant les absents, lui fit vite deviner qu’il s’était brouillé avec tout le monde.

Sept-Épées fut obligé en ce moment de regretter le pacifique Audebert, qui traitait les apprentis comme ses enfants et faisait perdre un peu de temps aux ouvriers en voulant leur expliquer Épictète et Platon, qu’il n’avait jamais lus, mais qui du moins savait les retenir et les convaincre par sa bonté. Va-sans-Peur, pour vouloir trop bien faire, avait fait le désert autour de lui.

Sept-Épées alla à la ville et n’y trouva personne qui voulût se remettre sous la direction de son maître-ouvrier. On exigeait qu’il le renvoyât. Il promit de lui ôter toute autorité ; mais, comme il lui fallait le temps d’en mettre un autre à sa place, il dut, en attendant, embaucher des compagnons-passants, et se trouver pendant plusieurs jours au milieu d’étrangers qu’il dirigea lui-même, avec peu d’entrain et beaucoup d’ennuis. Il résolut alors d’affermer sa propriété et d’en louer une mieux située, ce qu’il espérait pouvoir faire sans grande perte. Il entra en pourparlers avec des gens qui lui offrirent de la baraque un prix si minime que le découragement s’empara de lui. — Oui, oui, se disait-il, Tonine avait bien raison ! Cet endroit-ci ne vaut rien, et peut-être a-t-elle deviné aussi que je n’étais bon à rien moi-même.

À tous ses mécomptes venait se joindre le dégoût du travail grossier auquel il s’était condamné pour gagner de l’argent, lui si fier autrefois de la beauté de sa main-d’œuvre. — Elle doit me mépriser pour cela, se disait-il encore. Autrefois elle admirait mes ouvrages, elle me traitait d’artiste dans ses bons jours. Peut-elle à présent faire une différence entre moi et le dernier des cloutiers ? Et si en ce moment elle voyait où j’en suis avec ce métier brutal que je ne sais pas même rendre lucratif, ne se moquerait-elle pas cruellement de mes offres de mariage ?

La honte le prit. Il se persuada qu’il ne pourrait plus soutenir le regard de Tonine s’il ne parvenait pas à relever sa position, et, sachant son parrain bien soigné chez la Laurentis, il se promit de ne plus reparaître à la Ville-Noire avant d’avoir résolu le problème de sa destinée.



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