La tante Julia et le scribouillard by Llosa Mario Vargas

La tante Julia et le scribouillard by Llosa Mario Vargas

Auteur:Llosa, Mario Vargas [Llosa, Mario Vargas]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Péruvienne
ISBN: 2070376494
Éditeur: Altocumulus - TAZ
Publié: 1985-05-13T22:00:00+00:00


XI

Les examens semestriels à la faculté s’approchaient et moi qui depuis mes amours avec tante Julia assistais moins aux cours et écrivais plus de nouvelles (pyrrhiques), j’étais mal préparé pour cette épreuve. Mon salut était un camarade de cours, un garçon de Camaná nommé Guillermo Velando. Il vivait dans une pension du centre, du côté de la place Dos de Mayo, et c’était un étudiant modèle qui ne manquait pas un cours, prenait note même de la respiration des professeurs et apprenait par cœur, comme moi les vers, les articles du Code. Il parlait toujours de son village où il avait une fiancée, et il n’espérait qu’être reçu avocat pour quitter Lima, ville qu’il détestait, et s’installer à Camaná où il lutterait pour le progrès de sa terre. Il me prêtait ses notes, me soufflait aux examens et quand ceux-ci me tombaient dessus j’allais chez lui pour qu’il m’administre quelque synthèse miraculeuse de ce qu’on avait fait en cours.

C’est de sa pension que je venais ce dimanche, après avoir passé trois heures dans la chambre de Guillermo, la tête embrouillée de formules juridiques, effrayé par la quantité de latinismes qu’il fallait me fourrer dans le crâne, quand, atteignant la place San Martin, je vis au loin, sur la façade plombée de Radio Central, la lucarne ouverte du réduit de Pedro Camacho. Naturellement, je décidai d’aller lui dire bonjour. Plus je le fréquentais – bien que nos relations soient toujours limitées à de brèves conversations autour d’une table de café – plus grand était le charme qu’exerçaient sur moi son physique, sa rhétorique, sa personnalité. Tout en traversant la place pour gagner les studios, je pensais une fois de plus à cette volonté de fer qui donnait à l’ascétique homoncule sa capacité de travail, cette aptitude à produire matin et soir, jour et nuit, d’orageuses histoires. À quelque heure du jour où je me le rappelais, je pensais : « Il est en train d’écrire », et je le voyais, comme je l’avais tant de fois vu, frappant avec deux petits doigts rapides les touches de la Remington et regardant le cylindre de ses yeux hallucinés, et je sentais une curiosité mêlé de pitié et d’envie.

La fenêtre du réduit était entrouverte – on pouvait entendre le bruit rythmé de la machine – et je la poussai tout en m’écriant : « Bonjour, monsieur le travailleur. » Mais j’eus l’impression de m’être trompé d’endroit ou de personne, et ce n’est qu’après plusieurs secondes que je reconnus, sous le déguisement composé de la blouse blanche, du bonnet de médecin et de la longue barbe noire et rabbinique, le scribe bolivien. Il continuait à écrire immuable, sans me regarder, légèrement penché sur son bureau. Au bout d’un moment, comme faisant une pause entre deux pensées, mais sans tourner la tête vers moi, je l’entendis dire de sa voix au timbre parfait et caressant :

— Le gynécologue Alberto de Quinteros est en train d’accoucher de triplés une de ses nièces, et l’un des têtards s’est mis en travers.



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