La salamandre by Jean-Christophe Rufin

La salamandre by Jean-Christophe Rufin

Auteur:Jean-Christophe Rufin [Rufin, Jean-Christophe]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Publié: 2011-12-30T21:10:36+00:00


XIII

Plusieurs fois, tandis qu’elle était seule avec lui dans la maison, Catherine eut l’impression que Gil s’ennuyait. Il bâillait, tournait en rond, cherchait un prétexte pour ressortir. Cette idée la tourmenta. Elle ne pensait pas à l’avenir. Mais cette usure compromettait l’infinie prolongation du présent.

Elle l’incita à faire venir des amis. Comme il se sentait très libre dans cette nouvelle maison, il ne fit aucune difficulté pour y inviter des Brésiliens. Presque chaque soir, il amenait pour dîner deux ou trois personnes.

Catherine n’y vit d’abord que des avantages. Lorsqu’il y avait du monde, Gil riait, parlait plus volontiers. Surtout, grâce à ces amis, elle allait mieux le connaître. Elle avait passionnément envie de se faire apprécier de ceux que Gil lui présentait.

Elle fit beaucoup d’efforts mais n’y parvint pas. À toute force, elle aurait voulu que ces rencontres se passent bien. Mais rien n’y fit : elle n’aimait pas les amis de Gil et les amis de Gil ne l’aimaient pas.

Il y eut d’abord beaucoup de passage puis, peu à peu, un petit groupe prit ses habitudes, écarta les autres et constitua une équipe stable. C’étaient, hélas, ceux que Catherine craignait le plus. Non seulement elle était gênée par leur présence, mais elle se mit à la redouter.

Le premier de ces habitués était Luís Roberto, jamais nommé et désigné par son surnom « O Ratoeiro », c’est-à-dire le piège à rat1. C’était un garçon de vingt ans environ, originaire du sertão, l’arrière-pays aride et misérable. Il était à ce point taciturne qu’elle le crut longtemps muet. Son visage évoquait une arme : un nez tranchant, cruellement prolongé vers le bas comme une estafilade qu’on se serait appliqué à poursuivre jusqu’aux lèvres, une bouche mince, inapte au baiser, rétive à la parole, faite pour le crachat, la morsure. Il portait jour et nuit d’absurdes lunettes noires, inutiles sinon pour ôter tout accès au regard et à l’âme. Il arrivait avec Gil, se postait dans un coin et observait.

Un autre était un garçon troublant, de taille moyenne, mulâtre clair aux traits fins. Il avait, comme disent les Brésiliens, des cheveux de feu. Dès la première rencontre, Catherine lui avait trouvé l’air efféminé. Il était excessivement parfumé, ses gestes avaient une grâce forcée. Un jour, elle nota qu’il avait une poitrine saillante et, par l’échancrure de sa chemise, elle vit un sein rond. Inacio ne s’était jamais travesti pour venir chez elle. Mais tout de même, il y avait ce sein.

Enfin venait Carlos Magno. C’était un Indien pur, né en Amazonie, fils d’un instituteur de la forêt. Son père avait choisi pour lui ce nom historique, Charlemagne, et qui, faute d’un destin à sa mesure, était ridicule, surtout pour les étrangers. Carlos Magno faisait des études de sociologie d’autant plus interminables qu’elles ne déboucheraient jamais sur aucun emploi. Il masquait le caractère fragmentaire et superficiel de son savoir par l’acharnement qu’il mettait à rabâcher quelques livres : Peau noire, masques blancs, L’Idéologie allemande, Les Veines ouvertes de l’Amérique latine… Il avait une culture de prêtre de campagne où Marx remplaçait la Bible.



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