La Revanche de Dieu by Gilles Kepel

Auteur:Gilles Kepel [Kepel, Gilles]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Religion
Publié: 1991-09-14T22:00:00+00:00

De l'Amérique rurale à la haute technologie

On date généralement l'apparition publique du terme « fon­damentalisme », décalque de l'anglais fundamentalism, des années vingt. Il fait suite à la publication, aux Etats-Unis, à partir de 1910, d'une série de douze volumes intitulés The Fundamentals, composés de quatre-vingt-dix articles rédigés par divers théologiens protestants opposés à tout compromis avec le modernisme ambiant. Financés par deux frères, tous deux hommes d'affaires, The Fundamentals furent diffusés gratuitement à plus de 3 millions d'exemplaires[11]. Mais c'est principalement « l'affaire Scopes » qui fit entrer le terme de fondamentalisme dans le vocabulaire américain courant, tout en lui conférant d'emblée une signification controversée. John T. Scopes était un jeune professeur de biologie dans un lycée de l'Etat du Tennessee, et il fit usage en classe d'un manuel qui se référait à l'évolutionnisme des espèces. Cela violait les lois de l'Etat qui prohibaient l'enseignement de « toute théorie niant le récit de la création divine de l'homme ». Il passa donc en jugement, en 1925, mais son pro­cès devint en fait celui de la subculture fondamentaliste amé­ricaine : elle devait être précipitée dans le ridicule par la des­cription que fit la presse des arguments frustes utilisés par les opposants à Scopes. En revanche, des membres éminents de l'élite intellectuelle et scientifique de l'époque témoignèrent en faveur de celui-ci.

Tel qu'il se manifeste alors en opposition au « moder­nisme » ou au « libéralisme » professés par l'establishment protestant, le fondamentalisme se définit en premier lieu par la croyance en l'inerrance absolue de la Bible. Le texte sacré de l'Ancien comme du Nouveau Testament est tenu pour l'ex­pression littérale de la Vérité divine – notamment dans tout ce qu'il comporte comme impératifs moraux ou éthiques et injonctions politico-sociales. En second lieu, les fondamenta­listes croient en la divinité du Christ et au salut de l'âme par l'action efficace de la vie, de la mort, et de la résurrection physique du Christ. A quoi s'ajoute le devoir de s'engager dans un prosélytisme vigoureux envers tous ceux qui n'ont pas encore adhéré à ce credo[11]. Par-delà les controverses théo­logiques, les deux camps recoupent deux Amériques antago­niques dont la confrontation rythme l'entre-deux-guerres : au Nord industrialisé, modernisé et en pleine expansion s'oppose un Sud agricole à l'organisation sociale obsolète, qui semble attiré dans la spirale d'un inexorable déclin depuis sa défaite lors de la guerre de Sécession.

C'est le Sud qui fournit les gros bataillons du fonda­mentalisme d'alors ; il s'attire le surnom de Bible Belt (« cein­ture de la Bible »), la plus méridionale des « ceintures » (de l'élevage, du maïs, du coton…) qui se superposent sur la carte des Etats-Unis. Il est la terre d'élection de prédicateurs dont l'inculture, le fanatisme, l'hypocrisie et l'absence de scrupules deviennent un type littéraire sous la plume des romanciers issus de l'élite intellectuelle de la côte Est. L'archétype en est Elmer Gantry, personnage créé par le prix Nobel de littéra­ture Sinclair Lewis en 1927[12]. Individu parfaitement amoral, escroc, parjure, fornicateur impénitent, alcoolique, le prédicateur Gantry emprunte ses traits à certains individus que Lewis avait observés et connus, mais il devient

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