Garçon, un pastis et un peu moins de vent by Guy Marchand

Garçon, un pastis et un peu moins de vent by Guy Marchand

Auteur:Guy Marchand [Guy Marchand]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Ecriture
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


11

Avec le mistral, les feuilles étaient devenues folles. Hystériques, elles montaient et descendaient dans le parc comme des danseuses ivres, entraient dans la cuisine, quelques-unes s’échappaient par la fenêtre. Celles qui restaient captives, la chatte jouait avec.

On ne mesure pas toujours combien le soleil des tournesols se lève vite à la belle saison, augmentant sa lumière, les yeux fixés, comme hébétés, d’un côté ou de l’autre, sous ce ciel rouge dont les cigales, en fin de soirée, atténuent la violence.

Malgré l’été, il faisait soudain plus froid : le ressenti des frileux. Émile, lui, son ressenti, c’était la tristesse. Une tristesse de poète, pas trop grave, propice à l’inspiration, du moins pour ceux qui ont du talent. Le blues des musiciens : on se plaint, on râle et on fait des chansons.

Ça soufflait encore plus fort du côté d’Avignon, comme si les rafales cherchaient à décoiffer les papes sur la place du Palais, où résonne encore Le Cid déclamé par Gérard Philipe, en plein vent, dans sa grande chemise blanche.

Le mistral, ça n’est pas la douceur angevine ! Les femmes sont brunes et passionnées, les maris jaloux et coléreux, tout est à l’huile d’olive et le pastis a une belle couleur.

Émile en était là lorsqu’il entra dans la grande cuisine d’Albert, ouverte sur le salon, où quelques feuilles effrontées avaient réussi à s’introduire « pour visiter ». Le mistral doit être fait pour qu’on ne s’endorme pas dans la douceur du midi, qu’on ne s’ankylose pas dans le bonheur, qu’on ne se ramollisse pas dans les odeurs de printemps et qu’on n’oublie pas la violence de la nature, l’agonie et la mort.

Quelquefois, il avait eu envie d’aller vivre ailleurs, mais où ? Un peu plus au sud, au bord de la mer, où il faut jouer des coudes pour mettre ses pieds dans l’eau salée ? À la montagne, juste derrière, où l’on n’est tranquille que lorsque la neige a fondu ?

Non, il mourrait ici. Le mistral chasserait les mouches de son cadavre et la lavande aurait meilleure odeur que l’encens des églises, qui fait pleurer tout le monde. Lui manquerait surtout le petit vautour, le capoun fé qui vole au-dessus du restaurant du même nom, le Mas Capoun, où de gentils Belges traitent les autochtones et les touristes comme des princes à des prix abordables, sans serviette en papier.

Dans ce pays, le hibou et le grand-duc planent au-dessus des petites vallées comme des drones, comme pour prévenir les sangliers, petits maîtres du Luberon, que les chasseurs vont les traquer et qu’il serait très opportun qu’ils rentrent bredouilles. Comment se fatiguer de cette nature, de ce murmure, de cette source de vie qu’est le Midi et qui fait que la cuisine méditerranéenne fait vivre plus longtemps ? À condition de ne pas trop forcer sur le pastis, comme Albert et Émile. Quoique. C’est comme le haschich, ça ne peut pas faire de mal : il y a que des plantes là-dedans, comme qui dirait !

Donc, c’était l’été, ouvert comme la porte d’un four sur le champ de tournesols en contrebas.



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