Géographie de la bêtise by Max Monnehay

Géographie de la bêtise by Max Monnehay

Auteur:Max Monnehay [Monnehay, Max]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 9782021090369
Éditeur: Seuil
Publié: 2015-12-08T05:00:00+00:00


Anti-leçon 18

Un homme et une femme.

Nous marchons à leur rencontre.

Sur le chemin, Pierrot explique pourquoi il est impossible que deux idiots arrivent ensemble.

Je voudrais oublier que je sais déjà tout ça.

Deux dictateurs. Deux alliances. Deux génies.

Pierrot utilise des mots qui n’existent pas et les idiots, l’un après l’autre, contagion brutale soutenue par un vent léger, finissent par comprendre.

Notre petit groupe s’arrête devant la première maison du village.

Devant la dernière, si on décide qu’il est tout aussi justifié de renverser le monde afin de le regarder par l’autre bout.

L’homme et la femme se tiennent debout face à nous, silencieux, inquiets, pareils à ces lièvres qu’une présence inconnue fige soudain entre les herbes hautes.

Si une légère brise n’avait effleuré les branches d’un pommier sur le bord de la route, vous auriez cru à une photographie.

À un autre Pompéi.

Mais Pierrot sait souffler sur les cendres. D’un petit geste du menton il invite les étrangers à le suivre. Et c’est ainsi que succombe cette fin du monde qui n’aura duré que le temps d’une timide appréciation. Nous revenons sur nos pas.

Chacun à son tour se tord le cou pour observer la figure de ces idiots dont au moins un ne l’est pas.

Une chance pour moi, car je serais incapable d’imiter mon petit peuple s’il choisissait de regarder où il met les pieds.

Une femme.

Elle doit avoir mon âge, à un ou deux ans près. Des mèches de cheveux sales lui tombent dans les yeux, comme une frange qu’un abattement général de son propriétaire aurait condamnée à la friche, à l’oubli. Derrière, des iris tellement sombres qu’on n’y distingue plus la pupille, et le blanc autour pareil à la phosphorescence des étoiles en plastique collées au hasard au firmament des chambres d’enfants.

Je me souviens du Village des damnés, ce film en noir et blanc qu’un soir Mam et moi avions regardé, après qu’elle m’eut tout de même prévenu que je n’y piperais que dalle, à l’histoire que ça raconterait.

Alors, pour lui faire plaisir, et parce que je ne savais plus faire autrement, je n’y avais pipé que dalle.

Je me souviens quand même que les yeux de ces enfants engendrés par une vie extraterrestre étaient noirs comme la mort et se mettaient à scintiller soudain quand il s’agissait de prendre le contrôle d’un adulte, de le manipuler, d’en faire une marionnette bonne à leur torcher le cul ou à empoisonner le chien du voisin.

La fille me fait penser à eux. J’imagine que ses paupières vont s’ouvrir sur deux pépites flamboyantes qui m’ordonneront de plonger tout habillé dans cet étang pollué que personne n’ose approcher, à cause de l’odeur nauséabonde qui parfume férocement ses alentours et de sa couleur, aussi, d’un vert contre nature ; qu’en pleine nuit ils me pousseront dans l’eau épaisse et glacée et m’anesthésieront les quatre membres. Alors je me laisserai couler, puisqu’il n’y aura plus rien d’autre à faire, la rive à portée de brasse et le cœur au bord des lèvres.

Un nez droit, petit, jaillit de cette figure maigre, tout en creux et saillances.



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