Faute de preuves by Marine Turchi

Faute de preuves by Marine Turchi

Auteur:Marine Turchi [Turchi, Marine]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française, Enquête
Éditeur: Seuil
Publié: 2021-10-21T07:37:04+00:00


« Il n’y a pas de procès d’allumeuses »

En 1978, l’avocate Gisèle Halimi s’était battue pour obtenir la reconnaissance du viol de ces deux femmes lesbiennes. Aujourd’hui, des magistrats s’emparent à nouveau de cette affaire pour démonter les stéréotypes dans les prétoires. Le 6 mars 2020, à la cour d’assises de Seine-Saint-Denis, l’avocate générale, Maylis de Roeck, a convoqué Aix-en-Provence et Gisèle Halimi pour demander que le caractère homophobe du viol subi par la plaignante soit reconnu37. Jeanne38, 34 ans, lesbienne, avait ramené chez elle un jeune homme rencontré dans la rue, à l’issue d’une soirée. Après un début de relation consentie, elle lui avait demandé d’arrêter. Alors son visage s’était durci : « Ah, tu kiffes les meufs, je vais te faire kiffer. » Pendant une heure et demie, il l’avait violée et frappée, une véritable « scène de torture », a décrit Maylis de Roeck. Dans ses réquisitions, la magistrate, âgée de 34 ans elle aussi, a souligné que l’accusé « savait très bien pourquoi elle se refusait, parce qu’elle était lesbienne ». Elle a demandé au jury « d’avoir le courage de mettre des mots sur les choses » : « 4 % des femmes hétérosexuelles disent avoir été victimes de viol, contre 10 % des femmes lesbiennes. On ne peut pas faire semblant de ne pas comprendre. » Mais elle a aussi fait œuvre de pédagogie. « Partout, forcer c’est un viol. Il n’y a pas de procès d’allumeuses, il n’y a pas d’allumeuses […] Oui, on peut préférer les femmes et vouloir coucher avec un homme […], oui, on peut dire oui et non. » Outre Gisèle Halimi, elle a cité trois fois Virginie Despentes et son essai King Kong Théorie39. La magistrate n’est pourtant pas la première lectrice de ces deux figures féministes. Quand je la rencontre, un an plus tard, au parquet de Bobigny où elle est substitute de la procureure40, elle le dit avec franchise et une pointe d’humour : « À chaque fois que j’ai essayé d’acheter un livre de Gisèle Halimi, je l’ai reposé en me disant “ça a l’air chiant”. » Elle le reconnaît aussi, quand elle a eu le dossier de Jeanne en main, elle a d’abord repoussé la circonstance aggravante de l’homophobie. Puis elle a réfléchi, discuté, lu les récits du procès d’Aix. Et elle s’est demandé si, en balayant la question, elle ne chaussait pas les mêmes lunettes que celles du mis en cause. Si elle n’était pas passée à côté d’une « évolution sociale » qu’il fallait essayer de « comprendre ». « Que peut-être l’orientation sexuelle de la plaignante avait augmenté le réflexe machiste de l’auteur, parce qu’il était confronté non seulement à un refus, mais aussi à une femme lesbienne sur laquelle il avait projeté tous les clichés » : une lesbienne, c’est une « chaude ». Quand je lui fais remarquer que des réquisitions émaillées d’autant de références féministes sont peu courantes, elle rétorque : « Cela s’y prêtait. Le mois d’après,



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