En avant, route by Alix de Saint-André

En avant, route by Alix de Saint-André

Auteur:Alix de Saint-André [Saint-André, Alix de]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, voyage
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2012-02-08T09:40:48+00:00


POMPON

Quand je les ai vus, ils saucissonnaient au bord du chemin ; l’âne attaché à un arbre, et le type, un barbu, genre catho traditionaliste ou écolo, couché dans l’herbe à côté. Je me suis dit : Ah non, je ne vais pas me trimballer avec un mec et un âne, plus l’histoire du mec et de son âne ! Au secours ! Je les ai salués, et je me suis mise à cavaler le plus vite possible pour éviter qu’ils ne me rattrapent.

C’était un jour de jubilations, ce 17 septembre. Après avoir quitté Saintes, et laissé un cierge aux antiques reliques de saint Eutrope dans la crypte décrite par le pèlerin Aymeri Picaud au XIIe siècle, j’avais téléphoné à ma mère pour son anniversaire, et à Valérie pour rien, assise sur une borne, juste parce que je me sentais bien et que j’avais envie de le dire à une amie. Grâce à ces grosses bornes, précisément, qui balisent les Charentes, je pouvais me passer de cartes et de guides, et entrer avec confiance dans un paysage qui virait doucement au Midi de mon enfance, celui qu’on appelait le Midi moins le quart pour le distinguer de l’autre, le Midi de Pagnol et des Parisiens. Du chemin, j’apercevais à l’horizon la nationale 137 qui nous conduisait autrefois chez notre grand-mère paternelle à Lavaur, dans le Tarn. Ça sentait déjà le Sud-Ouest, ses poules, ses oies et bientôt ses pintades dans une campagne de maisons blanches à toits de tuiles. Les gens n’avaient pas encore l’accent, mais déjà le texte. Je l’avais vérifié auprès d’un homme en short assez ventru à qui j’avais demandé de l’eau. Comme je le félicitais pour les glaïeuls de son jardin, il me dit qu’il en avait eu un de plus d’un mètre quatre-vingts, à trois têtes, saumon orangé, le mois précédent... Je m’ébahis poliment.

Ensuite, j’avais fumé une cigarette de délices dans une sorte d’Olympie miniature : les ruines de Thénac. Trois bouts de colonnes cassées, trois petits cyprès, un pin. Pierres grises sur fond vert profond. Manquaient les cigales. Pauvreté de la pensée, pauvreté de l’écriture, pauvreté du pèlerin, ai-je noté, heureuse dans ma bulle de solitude.

À la fin, le paysage était nul et plat ; l’arrivée à Pons interminable, comme à Saintes la veille. L’accueil des pèlerins en haut de la ville, et l’hébergement en bas, à l’autre bout — évidemment. Sous une voûte antique tout ce qu’il y a de chic, classée par l’UNESCO et bien fermée. On m’avait donné un numéro de digicode, mais impossible de trouver la porte qui allait avec. Au moment où je téléphonais pour me renseigner, un énorme orage éclata. Des trombes d’eau. Et le barbu est arrivé. Avec l’âne. Sous des plastiques dégoulinants. Sûrement le Bon Dieu qui me les envoyait ; je n’allais pas leur faire le coup de Raquel... D’ailleurs le barbu trouva la porte sans s’énerver.

Or donc, ainsi qu’il devait être écrit depuis le commencement des siècles, en mangeant une pizza sur la place, j’eus droit à l’histoire du mec avec l’âne.



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