Cover by L'heure des femmes

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Auteur:L'heure des femmes [femmes, L'heure des]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Jardin du Luxembourg, juin 1968

En cette fin d’après-midi, le ciel a des allures de deuil. Pourtant, sur les balançoires, des petites filles en jupe plissée et mocassins vernis insistent auprès de leur nourrice pour rester encore un peu. Tout autour d’elles résonnent des cris d’enfants. Des amoureux profitent de la pénombre et de l’anonymat du lieu pour s’embrasser discrètement. De jolies étudiantes aux jupes très courtes courent vers des rendez-vous que la dame de cœur se plaît à imaginer galants, alors qu’elles filent probablement vers quelque leçon de piano ou à la bibliothèque Sainte-Geneviève pour réviser. Quelle liberté ! songe Menie qui, débarquée à Paris en pleine guerre avec son frère André, peinait à trouver de quoi manger et restait calfeutrée dans sa chambre de bonne en attendant que les Alliés les délivrent enfin d’un avenir aussi maussade qu’incertain.

La jeune femme s’est avancée vers elle d’un air timide. Menie lui avait indiqué un banc près du kiosque à musique. Elle l’a attendue un bon quart d’heure, feuilletant un Elle que continue de lui envoyer Françoise Lagarde. Cette semaine, on y apprend comment maigrir, ce qui étonne Menie car, jusque-là, aucune de ses auditrices n’a jamais mentionné ce problème dans la vie des femmes.

— Menie ?

— Vous êtes Suzanne ?

— Oui.

— Asseyez-vous.

— C’est bien vous ?

— Oui, c’est moi.

— Ça alors ! Je pensais à une blague.

— Ç’aurait été une blague de très mauvais goût. Mais vous n’avez pas froid ?

— Non.

— Voulez-vous que nous allions dans un café ? Ou chez moi ?

— Non, surtout pas. Je ne voudrais pas vous causer des ennuis. Et puis, être vue avec vous. Enfin vous comprenez, les gens sauraient que c’est moi qui vous ai appelée. Je ne me rendais pas compte en le faisant.

— De quoi vous ne vous rendiez pas compte ?

— Que des centaines de gens nous écoutaient.

Menie n’ose pas préciser qu’en vérité ils étaient des millions. Elle est toujours étonnée que ses auditeurs oublient les autres. Qu’ils ne souhaitent parler qu’à elle, sans se mettre en scène, comme le suggèrent certains journalistes bien-pensants qui ne se lassent pas de fustiger son « émission-spectacle ».

— Allons, ne vous en faites pas. Nous ne donnons jamais l’identité des appelants. Et même, bien souvent, nous inventons des prénoms, des villes, pour qu’ils ne soient pas reconnus. Il n’y a jamais eu de problème. Mais vous, comment allez-vous ?

— Un peu mieux, depuis que je vous ai parlé.

— Vous ne voulez plus faire de bêtise, n’est-ce pas ?

— Non.

— Promis ?

— Oui, Menie, je vous le promets. Et puis, ma sœur Mireille m’a reconnue à la radio. C’est normal, c’est ma sœur vous me direz. Elle a eu une de ces frousses. J’ai compris que je n’avais pas le droit de lui infliger ça.

— C’est à vous que vous n’avez pas le droit d’infliger ça. Vous avez plein de choses à accomplir. Ce bébé, vous le voulez ?

— Je ne sais pas.

— Il va pourtant falloir vous décider, parce qu’il ne va pas s’envoler par l’opération du Saint-Esprit.



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