Coeur D'Artichaut by François Cavanna

Auteur:François Cavanna [François Cavanna]
La langue: fra
Format: epub
Tags: roman
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2014-02-21T23:00:00+00:00

VIII

Ça y est. Je l’ai commencé. Mon roman. Mon roman à moi, que je signerai de mon nom. J’ai enfin trouvé mon sujet. J’ai cherché longtemps, longtemps, je désespérais, n’en dormais plus, et soudain je me suis avisé qu’il était là, sous ma main, il attendait impatiemment que mes yeux se posent sur lui. Que j’étais bête ! Je me torturais l’esprit à chercher midi à quatorze heures, alors que…

Ce sera l’histoire d’un homme hanté par les femmes, par la Femme, d’un homme pour qui rien au monde ne vaut la peine d’être conquis, sinon le regard d’une femme qui consent. Mon histoire, oui. Je changerai les noms, cela va de soi. J’arrangerai un peu les faits, j’introduirai du suspense et de la péripétie… Et puis, non ! Rien d’inventé. Cela se sentirait. Il y aurait rupture de ton. La vérité, toute nue. Mais alors, ce ne sera pas un roman ? Ce sera un roman parce que je l’appellerai « roman ». Et tout dans l’écriture. Très ambitieux. Je vise haut. Rien du polar, ni du roman d’aventures. Pas une chose de cul, non plus. Enfin pas le machin classé « érotique ». Quand le cul vient à son heure, le cul tient la vedette. Comme dans la vie, quoi. Du psychologique, alors ? Beuh… L’introspection, moi…

En tout cas, du style. L’opposé radical de ce que je fais pour Succivore. Je veux écrire pour moi, je veux me plaire, je veux me séduire, je veux pleurer de joie en me lisant !

J’ai surmonté l’angoisse paralysante de la première phrase. Maintenant, ma main court sur le papier, je biffe, je reviens en arrière, je jubile, je vis à cent à l’heure ! Je bâcle les corvées Succivore, je dévore n’importe quoi sur le pouce, je prends sur mon sommeil…

Je ne l’ai dit à personne. Lison seule a compris que je travaille à quelque chose d’important pour moi, elle m’a souvent surpris en plein effort, mais elle a senti que je tenais à garder la chose secrète, elle n’a pas posé de question. C’est quelqu’un, Lison !

Trois heures et demie ! Voilà donc plus de sept heures que je n’ai pas levé le nez, le cul collé à cette chaise, la poitrine écrasée contre ce rebord de table, le dos arrondi en bosse de chameau… Pas étonnant que je défaille de faim ! C’est d’ailleurs la faim qui m’a arraché à l’univers parallèle. Et, jeté brutalement dans cet univers-ci, j’y suis aussitôt assailli par de hurlantes furies : les yeux me brûlent, la migraine me ravage la tête, des hordes de fourmis cannibales me dévorent cuisses et jambes… Mon corps se venge d’avoir été si longtemps mis au rencard.

Je me lève, un vertige me prend. Trop vanné pour trouver le courage de me préparer ne serait-ce qu’une tartine de rillettes. Je veux qu’on me dorlote, na. Qu’on me prenne en charge. Une idée : je vais me traîner jusque chez le père Saïd et me taper un couscous. Oh, que c’est

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