Chouette by Claire Oshetsky

Auteur:Claire Oshetsky
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Libella
Publié: 2022-10-15T00:00:00+00:00

JE ME RÉVEILLE UN MATIN avec un murmure de joie dans la poitrine. Je me demande pourquoi je suis aussi heureuse. Puis je me souviens : aujourd’hui, je reçois mon amie secrète. Elle n’est pas à l’heure. Je n’y crois plus, lorsqu’on tambourine à la porte. C’est elle. Que va-t-il se passer ? Dans la mesure où depuis quelque temps tu obéis à un rythme crépusculaire, enfant-chouette, je peux être sûre que tu dormiras jusqu’à midi. Mon amie secrète et moi serons seules. Qu’allons-nous faire ensemble ? Après avoir mené si longtemps une existence composée d’événements parfaitement prévisibles, les jours s’enchaînant sans que jamais rien ne change, ce suspense est presque trop violent pour moi. Je ne sais pas grand-chose d’elle, dans le fond. J’ignore pourquoi elle est là. Elle veut peut-être échanger des recettes de cuisine. Nous parlerons peut-être du sens de la vie. Nous nous disputerons peut-être au sujet des dernières séries télé.

Nous ne faisons rien de tout cela. Après s’être assurée que les rideaux sont bien fermés, elle m’embrasse.

Un baiser amical. Je me sens en sécurité, à l’aise.

Mais voilà qu’elle me palpe et me pelote. Si elle a un corps de cygne, sa poigne est celle d’un pitbull. Ses seins pendulaires ballottent et rebondissent contre ma minuscule poitrine. Il y a entre nos deux cœurs palpitants une abondance de chair à laquelle je ne suis pas habituée. Sans préambule, nous avons atteint un point où nous allons nous jeter dans le vide du sommet d’une haute falaise, et je ne suis même pas sûre d’être prête.

Elle s’interrompt.

Nous rions comme des gamines.

« J’avais envie de faire ça depuis notre première rencontre, dit-elle. J’ai eu un coup de foudre. »

Je préfère ne pas y penser, dans la mesure où notre première rencontre, c’était le jour de mon mariage. Il a beau dormir au-dessus du garage depuis plus d’un an, songer à mon mari et à mes vœux remplit ma tête de gargouillis coupables. Je n’ai pas le temps de m’appesantir sur mes borborygmes mentaux, car nous sommes passées sans crier gare du rire bête aux soupirs excités. Les choses s’emballent, et elle m’effraie un peu.

« Je ne connais pas ta maison. Tu me fais visiter ? »

Je ne peux pas l’emmener dans la cuisine à cause de la montagne de vaisselle sale. Je ne peux pas lui montrer la chambre d’enfant, car Chouette dort et mon amie secrète a peur d’elle. Je ne veux pas ouvrir la porte de mon cabinet de musique, de peur de réveiller toutes sortes de sentiments complexes. La salle de bains, impossible, en raison des musaraignes. Je n’ai pas le choix. Je l’emmène directement dans la chambre. Elle se débarrasse de ses chaussures et saute sur le matelas. Le couvre-lit remonté jusqu’au menton, elle entreprend de se déshabiller, lançant ses vêtements un par un. Après les chaussettes, le corsage, le pantalon, elle passe aux articles plus intimes. Des grains de poussière flottent devant mon champ de vision. Je sens l’odeur de la crème à raser de mon mari.

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