Chocolat by Joanne Harris

Auteur:Joanne Harris [Harris, Joanne]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
ISBN: 9782912517135
Éditeur: Quai Voltaire
Publié: 2015-02-11T00:00:00+00:00

Des heures plus tard, Anouk et moi ne dormons toujours pas et contemplons le lent tournoiement du ciel par nos fenêtres mansardées. Anouk est d’une humeur étonnamment grave depuis la visite de Guillaume : elle a perdu son exubérance coutumière. Elle a laissé ouverte la porte qui nous sépare, et j’attends la question inévitable avec une terrible appréhension ; je me la suis posée à de multiples reprises durant ces nuits qui ont suivi la mort de Mère, et je n’en suis pas plus avancée pour autant. Or la question tant redoutée ne vient pas. À la place, alors que je la crois endormie depuis longtemps, Anouk se faufile dans mon lit et glisse une de ses petites mains froides dans la mienne.

« Maman ? » Elle sait que je ne dors pas. « Toi, tu ne mourras pas, dis ? »

Je ris doucement dans le noir. « Personne ne peut faire une promesse pareille, lui dis-je avec tendresse.

— Pas avant longtemps, en tout cas, insiste-t-elle. Pas avant des années et des années.

— J’espère que non.

— Oh. » Elle digère cette nouvelle quelque temps, calant confortablement son corps dans la courbe du mien. « Les gens vivent plus longtemps que les chiens, pas vrai ? »

Je lui concède que oui. Un autre silence.

« D’après toi, où est-ce qu’il est maintenant, Charly ? »

Je pourrais lui raconter des mensonges, des mensonges rassurants. Mais je constate que j’en suis incapable. « Je ne sais pas, Nanou. Il me plaît de penser… que nous recommençons de zéro. Dans un corps tout neuf qui n’est ni vieux ni malade. Ou sous la forme d’un oiseau, ou d’un arbre. Mais personne ne sait vraiment.

— Oh. » Sa petite voix est sceptique. « Même les chiens ?

— Je ne vois pas ce qui l’empêcherait. »

C’est une belle idée. Quelquefois, je me surprends à y croire, comme un enfant croyant à sa propre invention ; je me surprends à discerner le visage plein de vie de ma mère dans les traits de ma petite étrangère.

« Alors, lance-t-elle d’un ton joyeux, il faudrait que nous retrouvions le chien de Guillaume pour le consoler ! Nous pourrions nous mettre à chercher demain. Il se sentirait moins triste comme ça, non ? »

J’essaie de lui expliquer que ce n’est pas aussi facile, mais elle est inébranlable. « Nous pourrions aller dans toutes les fermes pour demander quels chiens ont eu des petits. Est-ce que tu crois que nous arriverions à reconnaître Charly ? »

Je soupire. Je devrais être habituée à ses raisonnements tortueux, à l’heure qu’il est. La conviction d’Anouk me rappelle tellement ma mère que je suis au bord des larmes. « Je ne sais pas. »

Têtue : « Pantoufle le reconnaîtrait.

— Endors-toi, Anouk. Il y a école demain.

— Il le reconnaîtrait. Je sais qu’il le reconnaîtrait. Pantoufle voit absolument tout.

— Chhh. »

J’entends sa respiration se ralentir enfin. Son visage endormi est tourné vers la fenêtre, et j’aperçois la lumière des étoiles sur ses cils mouillés. Si je pouvais seulement être certaine, rien que pour la rassurer.

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