Boat-People by Unknown

Boat-People by Unknown

Auteur:Unknown
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782897126988
Éditeur: Mémoire d'encrier
Publié: 2020-01-30T00:00:00+00:00


QUE FAITES-VOUS ICI ?

Grace avait un message vocal sur son BlackBerry. Elle saisit son mot de passe et écouta en marchant dans le couloir. En entendant la voix de sa mère, elle fronça les sourcils.

Notre maison est à vendre, lançait Kumi sans préambule. Devine combien. Devine ! Grace, il faut que tu…

Grace fulminait en silence. Kumi semblait penser qu’elle n’avait rien de mieux à faire de sa journée que de répondre au moindre caprice de sa mère. D’avoir embarqué les jumelles dans sa quête, ce qu’elles appelaient leur projet d’histoire familiale, n’était pas suffisant, Kumi voulait maintenant y mêler Grace. Comme si elle n’en avait pas assez d’analyser des preuves, d’écouter des histoires d’horreur à longueur de journée. De prendre des décisions de vie ou de mort.

Grace revenait d’un examen des motifs. Un veuf dont l’enfant était en famille d’accueil. Mais il avait aussi pris part à un attentat-suicide. Et il s’était montré nerveux quand Singh avait évoqué l’agent. Est-ce que ça voulait dire quelque chose ? Je ne lis pas les pensées, se dit Grace. Et pourtant, c’est ce qu’on lui demandait de faire : deviner les motifs véritables, distinguer les réfugiés légitimes de ceux qui prévoyaient de faire du Canada l’épicentre d’une guerre par procuration. Elle avait rejeté la mise en liberté de cet homme. Il y avait peut-être déjà des motifs d’expulsion, mais cette décision serait prise à l’enquête d’admissibilité.

L’été dernier, nouvellement arrivée dans son poste, elle s’était dit qu’il lui suffirait de se familiariser avec les rouages du métier, qu’elle serait prête à arbitrer les enquêtes d’admissibilité le moment venu. Mais le calendrier l’avait rattrapée et elle n’était pas plus experte.

Jusqu’à présent, seules les causes des femmes étaient entendues ; elle mettait ses soupçons de côté et les jugeait admissibles ; les migrantes passaient donc aux audiences de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Mais avec la nouvelle année, on commencerait à entendre les causes des hommes. Cette perspective l’angoissait déjà.

Grace fit rejouer le message vocal. Nous devons revendiquer la propriété, disait Kumi. Les imposteurs auront beau dire. J’ai toujours l’acte de propriété original.

Comme si Grace était courtière en immobilier ! Sa mère n’y comprenait rien. Rien du tout. Grace était retournée à son bureau complètement furax, bouillonnant à l’intérieur. Mitchell Hurst venait droit sur elle au pas de charge dans le couloir. Il avait une démarche curieuse, le front en avant. On aurait dit un bélier, toutes cornes dehors.

Devant la porte de son bureau, Grace sortit ses clés de sa poche et garda la tête penchée. Elle et Mitchell s’en tenaient à de plates civilités et ne prêtaient attention l’un à l’autre que lorsqu’il était impossible de faire autrement. Mais aujourd’hui, elle ne pensait pas pouvoir s’en tenir même à ça. Nous devons revendiquer la propriété. Nous.

Madame Nakamura. Mitchell s’arrêta devant sa porte.

Il appelait tout le monde Jill ou Obi ou Yee. Il n’y avait qu’à elle qu’il s’adressait aussi cérémonieusement, comme le directeur d’un pensionnat s’adresserait à une collégienne. Reste aimable, se dit-elle.



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