Banlieue Sud-Est by Fallet René

Banlieue Sud-Est by Fallet René

Auteur:Fallet,René [Fallet,René]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: Domat
Publié: 1947-05-10T23:00:00+00:00


10

PHILIPPE HENRIOT était l’enfant chéri des foules. Comme un chanteur de charme en détrône un autre démodé, Henriot avait calé ses fesses dans le fauteuil de J. H. Paquis. Les spectateurs, un peu déroutés au début, s’étaient lentement habitués à cette voix grave de curé en déroute qui leur prédisait les pires calamités à l’heure de l’apéritif. Les éditorialistes de Radio-Paris étaient de fameux amuseurs. Personne n’y croyait plus beaucoup à leurs histoires de front élastique et de replis stratégiques. Et les Anglais y allaient un peu fort avec leurs bombes et leurs messages personnels incompréhensibles. Lorsqu’on entendait : « Les bulles de savon mourront au petit jour », il se trouvait toujours un rigolo pour souligner la présence de Pierre Dac à Londres. C’était l’Os à Moelle qui continuait.

D’ailleurs, la vie avait, par moment, de furieuses apparences d’Os à Moelle. Après la drôle de guerre et sa fin burlesco-tragique, son exode échevelé, était venue cette occupation sourde où rien ne se passait… On mangeait toujours, on se débrouillait… S’il y avait moins d’hommes à Villeneuve, ça augmentait d’autant le nombre des femmes vacantes. Personne n’avait vu de fusillés, les Allemands étaient bien rares, on s’habituait aux monnaies, aux billets, aux proclamations, aux affiches, à tout ce qui était maréchalisme, philippiste, pétiniste, verduniste et sauveur du pays. La foule évoluait dans ces puanteurs de félonie, de mensonge, de camouflage, de pillage, d’incurie. Je suis Partout l’excitait 52 fois l’an à bouffer du Juif à la pelle, du franc-maçon, du vitrier, du rouge, de l’anti-France, du terroriste, du sang-mêlé, du mêlé-cass, du ploutocrate, du démocrate, du bolchevik, du stalinien, de l’asiatique, du noir, du mangeur-de-bébés-crus, du fidjien, du De Gaulle, du Thorez, du Lévy, du capitaliste, du Talmud, du Zazou et du Lionel Hampton. Mais elle, la foule, ne songeait qu’à bouffer, pour de vrai, dans une assiette réelle, des patates solides, de la bidoche palpable. Cette France était devenue bien matérialiste… Elle roupillait, la France… Elle subissait tout sans bouger le petit doigt, telle une femme chloroformée, que tout un régiment viole en chantant. En chantant « Halli-Hallo », « God Save the King » et la « Marseillaise », bien entendu. Elle encaissait la L.V.F., les S.S., la Todt, la R.A.F., le S.T.O., les bombes du ciel, les bombes de terre, les maquisards, la Luftwaffe, les tickets, la carte de poil à gratter, les feuilles de détersifs, le litre de rouge tous les trente-six du mois, elle encaissait tout, pêle-mêle, en vrac, sans regarder, hydre flasque et molle à cent bouches, dont une seule avait droit à l’air libre. La seule doctrine valable pour la population française est le je m’en foutisme. Doctrine sympathique… pas assez répandue… c’est de là que viendra l’écroulement au port, la chute en fil à plomb, le salut…

Villeneuve, le premier juin 1944, ne vibrait pas plus qu’en 41. Il y avait plus de patriotes, les menus collaborateurs s’empressaient de retourner leur veste, les patrons de la parasolerie se grattaient l’occiput à chaque cercueil miniature que la Résistance leur expédiait régulièrement.



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