Au nom de tous les hommes by Martin Gray

Au nom de tous les hommes by Martin Gray

Auteur:Martin Gray [Gray, Martin]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions Du Rocher
Publié: 2004-02-01T05:00:00+00:00


15

LES CRABES DE LA RÉALITÉ

Il y a deux mondes.

Le vrai, celui où le sang coule, où l’amour unit les êtres qui s’aiment, où la souffrance se lit sur les visages, où l’on a faim et froid. Où l’on vit dans l’angoisse du lendemain. Pour la santé de ses proches. Pour le travail qui se dérobe. Où l’on a peur de manquer du nécessaire, de souffrir.

Ce monde vrai qui nous écrase entre ses mâchoires implacables, c’est celui dans lequel nous survivons. Plus ou moins facilement avec des instants de joie intense, et des chutes qui nous entraînent dans des gouffres d’où nous craignons de ne jamais réussir à nous échapper.

Une civilisation humaine devrait nous aider à affronter ce monde vrai et à l’organiser pour qu’il soit moins cruel, et que nous sachions accepter l’inéluctable. La mort de ceux que nous aimons, et notre propre affaiblissement, jusqu’à la disparition qui nous emportera loin de ce que nous avons créé, des êtres pour qui nous avons construit notre vie, afin de protéger la leur.

Ce monde vrai, cette manière humaine d’y faire face, les hommes cherchent au contraire, et depuis l’origine, à le fuir, à en détourner les yeux.

Ils ne veulent pas savoir. Ils enfouissent leur tête dans le rêve, les illusions. Ils vivent comme des automates, cherchant à traverser le plus vite possible, les yeux fermés, le monde vrai, pour retrouver ce monde virtuel – celui des mirages – que leur donnaient jadis les magiciens avec leurs divinations et leurs sortilèges et qu’aujourd’hui leur fournit, à chaque minute du jour, le Prince Médiatique.

Il est la Grande Drogue, qui vient s’ajouter aux milliers d’autres drogues, de médicaments en tous genres que nous avalons pour fuir le monde vrai.

Je ne suis pas de ceux qui s’échappent de la réalité. Je sais depuis l’adolescence que les hommes sont gouvernés par la peur, qu’il faut apprendre à être courageux et lucides. Mais je sais aussi que la tentation est grande de refuser de voir, tant le monde vrai est menaçant.

Je me souviens de mes frères du ghetto de Varsovie qui refusaient d’imaginer que les Allemands allaient nous déporter.

Ils n’entendaient que les fausses nouvelles, qui les rassuraient et que répandaient les nazis et les Juifs qui avaient accepté de diriger le ghetto. Quand les déportations ont commencé, quand il a fallu fournir chaque jour aux Allemands six mille « têtes » comme ils disaient, et les listes de ceux qui allaient se rassembler sur l’Umschlagplatz, pour embarquer dans les trains de la mort, on a dit, on a cru, on a prétendu que les déportés allaient vers les campagnes de l’Est, que des fermes les attendaient là-bas, peut-être même y construisait-on un État juif.

Seuls quelques-uns – dont j’étais – refusaient ces illusions, appelaient à se révolter ensemble, tous ensemble.

L’un de mes camarades que nous appelions Bolek – de son nom Gustaf Alef – avait essayé de convaincre les habitants du ghetto de tout quitter, de tenter une sortie en masse, en force, de prendre ainsi nos gardiens par surprise.



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