Vernon Subutex 3 by Virginie Despentes

Vernon Subutex 3 by Virginie Despentes

Auteur:Virginie Despentes
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature française
Éditeur: Grasset
Publié: 2017-05-23T22:00:00+00:00


Elle fréquente les mêmes personnes qu’avant – mais elle ne les invite plus chez elle. Elle ment. Elle dit qu’elle a déménagé parce que sans Lancelot, la maison lui fout le cafard. Que c’est trop grand que ça ne sert à rien, qu’elle a préféré changer ses habitudes, qu’elle adore son nouveau quartier. Elle raconte qu’elle s’est dégoté un joli petit deux-pièces, un peu au-dessus du Marais. Elle vit à Parmentier. Elle dit à ses amies je vous inviterai bientôt mais je n’ai pas terminé de décorer. La disgrâce sociale n’a aucun charme aux yeux de ses amis. Pas plus qu’elle n’en avait aux siens, avant. Mais elle ne s’amuse pas autant qu’avant, quand elle voit ses anciens copains.

Les conversations n’ont pas changé. C’est son oreille qui a bougé. Des remarques qu’elle n’aurait pas relevées, avant, la dérangent. Il y a toujours quelqu’un, à table, pour parler du plouc qui vit dans le village où il a une maison de campagne, et qui se contente des allocations plutôt qu’aller travailler. Le fraudeur, le paresseux, le profiteur – ses amis riches en comptent toujours un parmi leurs connaissances. Il est paradigmatique. Il se tourne les pouces à mille cinq cents euros mensuels. Il est dépensier. Il y a encore deux ans, Sylvie elle aussi avait son pauvre sous le coude, le mari de sa femme de ménage qui restait à la maison depuis des années à ne rien foutre et connaissait toutes les combines pour attraper l’argent de l’Etat. Mais depuis qu’elle n’a plus de femme de ménage, et qu’elle a dû effectuer pour elle-même toutes les démarches d’obtention du RSA et des allocations qu’elle pouvait toucher, elle n’est jamais arrivée au légendaire pactole mensuel qu’on évoque dans les dîners de riches. Elle n’est plus dépensière depuis que chaque facture lui arrive dans le plexus. Elle n’ose pas taper du poing sur la table et dire bon Dieu mais arrêtez de raconter des conneries allez-y chercher l’argent de l’Etat, allez les voir, vos pauvres, vos feignants… allez voir vous-mêmes combien il est facile de se débrouiller avec moins de mille euros par mois. Mais elle se tait. Elle qui a toujours ouvert sa gueule découvre la honte. C’est aussi qu’elle connaît ces gens : la réalité ne les affecte pas. Ce qui compte, c’est ce qu’ils se racontent, entre eux, autour d’une bonne bouteille de vin. Elle a été comme eux. De cette gauche-là. Qui se méfie des pauvres. Qui les aime bien, mais qui les connaît, qui ne s’en laisse pas compter. Trop bons trop cons. Et qui ne voit pas comment faire autrement que de les dresser. Car ils sont comme des chiens ingrats, ces pauvres. Ils mordent la main qui les a si bien cajolés. Ils sont mal habitués. C’est de la faute des riches. Ils ont été trop généreux.

Sylvie aussi a longtemps cru que quelqu’un comme elle ne tomberait jamais assez bas pour devoir s’inscrire au RSA. Ce n’était pas méchant, ça ne lui paraissait même pas méprisant.



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