Un an dans la Ville-Rue by Paul Di Filippo

Auteur:Paul Di Filippo [Filippo, Paul Di]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Science-Fiction
Éditeur: Le Bélial'
Publié: 2022-05-25T22:00:00+00:00

Miteux, les bureaux bien-aimés de Mondes miroirs occupaient un angle au premier étage de l’immeuble abritant sa maison mère, les Publications Pinney. L’édifice contenait aussi, au sous-sol, les rotatives qui imprimaient le magazine préféré de Diego et d’autres parutions du même éditeur ; par conséquent, pénétrer dans cet énorme bâtiment, un Bloc entier, revenait à s’immerger dans les puissantes vibrations des mastodontes mécaniques. Au sein de la maison Pinney, le statut social s’évaluait sans difficulté par la distance aux rotatives. Juste au-dessus des linotypes presque discrètes, le bureau de Winslow Compounce apparaissait comme un des moins pires. Pour comble, ainsi que le rappelait volontiers l’intéressé, Mondes miroirs se révélait plus rentable que la plupart des autres revues de la boîte.

Quand on demandait au rédacteur en chef, individu replet, dépenaillé, à lunettes, si cette contradiction le dérangeait, il répondait sans faillir : « Pas du tout ! Comment la présence — ou l’absence — d’à-côtés aussi banals pourrait-elle diminuer l’importance de l’œuvre qu’on accomplit ici ? La Cosmos-Fiction est le genre littéraire le plus important qui soit. Enfin, je travaillerais du Mauvais Côté des Voies s’il le fallait ! »

Diego sourit à cette évocation en entrant dans le vestibule de MM ; il se rappelait avec autant d’intérêt les propos de Compounce, qui avait des idées très arrêtées, qu’il anticipait la réunion du jour. Toute visite au responsable éditorial sans pareil promettait des plaisirs et des défis imprévisibles.

Dans ce local, la secrétaire particulière, Vizzy Longstreth, une vieille fille tirée à quatre épingles mais sardonique au chignon sévère, trônait derrière son bureau. Semblant sourde aux grondements sous ses pieds, elle agita son crayon à l’adresse du visiteur avec la même indolence qu’un garde blasé sa pique. « Il reçoit Fischl, mais entrez donc. Le vieux Pinney veut vous voir tous les deux dès que possible, et à moins qu’on ne l’interrompe, Winnie va tyranniser votre pauvre collègue toute la matinée. »

Longstreth était la seule personne de l’univers connu à se permettre d’appeler Compounce « Winnie » sans encourir le feu de son courroux. Diego sourit, la remercia et passa dans le bureau proprement dit.

Kufi Fischl était perché sur le bord de sa chaise devant la table de travail jonchée de papiers qu’occupait le rédacteur. Le teint olivâtre et l’expression sérieuse du jeune écrivain contrastaient drastiquement avec le visage rougeaud et l’air de Compounce. Revêtu de son habituelle veste à carreaux en cette journée d’août malgré la chaleur étouffante renforcée par les machines à l’étage inférieur et piégée dans la pièce aveugle, l’aîné des deux hommes haranguait le cadet à toute berzingue en un feu d’artifice d’idées dont les liens logiques n’étaient pas tous patents.

« Bon, vous voyez, Fischl, postuler des mondes en tore ne suffit plus. En son temps, c’était certes une innovation, mais on doit dépasser la sagesse conventionnelle désormais. Vous avez déjà envisagé un monde en boucle de Mobius ?

– Je ne vois pas bien ce qui…

– Allons, bordel, c’est l’évidence même ! » Compounce déchira un ruban de papier le long de la feuille de tapuscrit d’un malheureux auteur.

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