Treize Ozu, 1949-1962 by Jean-Michel Frodon

Treize Ozu, 1949-1962 by Jean-Michel Frodon

Auteur:Jean-Michel Frodon
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Cahiers du cinéma
Publié: 2023-10-06T00:00:00+00:00


VI.

Printemps précoce

1956

Construits autour de récits familiaux, les films d’Ozu fournissent une description particulièrement attentive et sensible des évolutions de la société japonaise de leur temps, et de la manière dont ces évolutions – techniques, économiques, sociales, dans le travail, les loisirs, le vocabulaire, les vêtements, etc. – affectent l’état d’esprit des gens. C’est une des grandes vertus du cinéma de cet auteur d’avoir su prendre en charge de manière aussi précise et nuancée les profondes mutations du pays, non pas du point de vue des dirigeants politiques et des grands événements, mais du point de vue des citoyens ordinaires. Le cinéma est certes toujours capable d’enregistrer et de mettre en évidence l’environnement – matériel et psychologique – dans lequel se situent les histoires qu’il raconte, mais très rares sont les réalisateurs qui auront aussi méthodiquement chroniqué, à travers des fictions, les évolutions de leur temps dans leur pays. Et si cela s’applique de manière particulièrement évidente aux films d’après-guerre d’Ozu, ce commentaire concerne toute son œuvre, depuis 1929 (Combats amicaux à la japonaise, Jours de jeunesse et J’ai été diplômé mais…, les plus anciens dont nous ayons des traces). On peut même dire que personne, dans toute l’histoire du cinéma, n’aura accompli une telle tâche de manière aussi durable et méthodique. Si Ozu aimait dire qu’il n’existe pas « une grammaire du cinéma », il n’en aura pas moins défini, pour chaque situation concrète, un vocabulaire expressif particulier, qui le distingue des réalisateurs « sociologues » ou « journalistes », pratiquement toujours porteurs d’un discours qui tend à se surimposer au film.

C’est par rapport à ce contexte général qu’il faut prendre la mesure de la singularité de Printemps précoce. C’est en effet le seul cas où l’élan du récit n’est pas la force principale qui porte le film. Non que le film ne raconte pas lui aussi une histoire, histoire de famille mais qui, comme six ans plus tôt Les Sœurs Munakata mais de façon plus radicale, ne mobilise aucune relation entre générations. Pas de père et de fille, de parents et d’enfants cette fois-ci (absence dramatisée par l’évocation de la mort de l’enfant du couple), mais un récit qui concerne uniquement, et assez systématiquement, les membres d’une seule génération, les adultes d’après-guerre – même si les personnages secondaires de l’ancien dirigeant tombé en disgrâce joué par Chishu Ryu et les mères des deux héroïnes apportent de loin en loin des formes de présence d’une autre génération. La définition des personnages du film est même encore plus stricte, puisqu’il s’agit pour tous les protagonistes importants d’hommes ayant combattu durant la guerre, et de jeunes femmes travaillant dans des bureaux aux côtés de ceux d’entre eux qui sont devenus employés. Écrire cela, c’est accorder une importance particulière à la situation sociologique des personnages, ce qu’on ne ferait pas forcément, ou pas aussi vite à propos des autres films. C’est que Printemps précoce privilégie de manière exceptionnelle chez Ozu la description sociologique, au point qu’il semble parfois se désintéresser de l’intrigue principale



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