Toujours plus à l'est by Benjamin Pelletier

Toujours plus à l'est by Benjamin Pelletier

Auteur:Benjamin Pelletier [Pelletier, Benjamin]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française, Récit, A_Poster
Éditeur: Philippe Picquier
Publié: 2016-01-19T16:06:49+00:00


LES FRONTIÈRES

En traversant le col Arirang

Dans le ciel clair autant d’étoiles

Dans les cœurs autant de rêves.

CHANT TRADITIONNEL CORÉEN

C’est arrivé d’un coup. Depuis le cinquième étage de l’Alliance française, on peut voir un mur jaunâtre ronger l’horizon du ciel limpide. Je me précipite sur la colline Namsan pour profiter du spectacle. Lentement, la ville s’efface, avalée par les poussières de sable venues du désert de Gobi qui envahissent Séoul à chaque printemps, un phénomène déjà signalé à l’époque des Trois Royaumes, il y a dix-neuf siècles. Face à moi, le disque parfait du soleil qui se dessinait dans la brume matinale se trouble au fur et à mesure que le voile de sable jaune s’épaissit. Ses contours enflent et se brouillent, coulent jusqu’à disparaître, laissant place à une vaste tache de lumière fade cernée d’un halo plus clair, gris-blanc, évasé vers le haut, étroit à la base, à l’intérieur duquel le soleil répète le moment de sa chute finale. On ne distingue plus les volumes que la poussière abolit. Seules subsistent de la ville les lignes vagues des avenues et des voies rapides, tandis que les verticales des buildings se devinent à peine, telles des traces de crayon laissées par un grossier coup de gomme. L’air devient irrespirable, et pourtant je ne parviens pas à quitter le sommet de Namsan. Il n’y a plus ni contour ni frontière, tout vibre et se répond, le proche et le lointain, le haut et le bas, la ville et le ciel, dans des bouffées de coloris cendre, ocre et orange qui rappellent les toiles de Turner de sa dernière période, et dont je cherche à saisir toutes les nuances avant de m’enfuir en courant, les yeux rougis et la gorge brûlante.

Le jour, la Corée du Nord est un univers gris ; la nuit, elle est un trou noir. C’est le seul pays au monde qui ne s’éclaire pas une fois le soleil couché. Les images des satellites montrent une tache sombre qui se confond avec la mer. Il y a comme un vide après la Chine, d’où l’impression que la Corée du Sud, lumineuse jusqu’à anéantir la nuit, projetant dans l’espace la fierté de sa réussite, est une île. Cette image frappante rappelle les anciennes cartes de l’Extrême-Orient. Les Européens ont longtemps peiné à représenter correctement la péninsule coréenne. Sur la carte de 1595 du jésuite portugais Luís Teixeira, elle apparaît comme une île de forme allongée curieusement parallèle à la côte chinoise, nommée Corea insula. L’une des premières représentations de la Corée comme péninsule date de 1597 et elle est l’œuvre du Toscan Fausto Rughesi. Sa carte embrasse le monde depuis le Proche-Orient méditerranéen jusqu’au Japon. La Corée y est bien une sorte d’appendice relié à la Chine mais, contrairement aux autres territoires où figurent des noms de villes et de régions, et des dessins de reliefs montagneux, de cours d’eau et de lacs, elle est le seul pays de la carte à rester vierge, blanc, terra incognita. Pendant les décennies suivantes,



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