Sarah Cohen-Scali by Les dents de la nuit

Sarah Cohen-Scali by Les dents de la nuit

Auteur:Les dents de la nuit [nuit, Les dents de la]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Avant même qu'il pût recommencer à dire son innocence, Douglas avait pris sur son postérieur une douzaine de coups cinglants. Où qu'il allât, en criant, le cuir le rattrapait et cinglait de nouveau.

Plus tard, cachant sa peine dans le sable comme une autruche, Douglas entretenait son affreux chagrin en un muet soliloque.

Il savait qui avait jeté cette balle. Un homme avec un chapeau de paille et un parapluie tout raide et une chambre froide et grise. Oui, oui, oui ! Il reniflait et ses larmes ruisselaient.

Attendez ! Attendez seulement !

Il entendit Grandma balayer les débris, les ramasser dans son tablier et aller les porter à la poubelle. Bleus, roses, jaunes, des météores de verre dégringolèrent, lumineux.

Quand Grandma fut partie, Douglas se traîna en geignant jusque-là, pour sauver quelques morceaux du verre admirable.

Il en repêcha trois. Monsieur Koberman détestait les fenêtres de couleur. Ceci - il fit tinter les rescapés entre ses doigts - ceci valait donc la peine d'être conservé.

Grand-père arrivait de son bureau au journal chaque soir, un peu avant les pensionnaires, à cinq heures.

Quand un pas lent et pesant emplit le hall, quand une solide canne d'acajou retomba dans le porte-parapluie, Douglas courut enlacer le vaste estomac et s'asseoir sur les genoux de Grandpa pendant que celui-ci lisait le journal du soir.

-Hi ! Grandpa !

-Hello, toi, là-dessous !

-Grandma a encore coupé des poulets aujourd'hui. C'est amusant de la regarder faire, dit Douglas.

Grandpa continua sa lecture.

-Cela fait deux fois cette semaine, des poulets. Elle est la femme la plus poulettière qu'on puisse imaginer. Tu aimes la regarder les découper, hein ? Insensible petit coquin ! Ha !

-Je suis seulement curieux.

-Ça, on peut dire que tu l'es, fit Grandpa, grondant un peu,

riant un peu. Tu te rappelles, le jour que cette jeune dame a été tuée à la gare ? Tu y es allé tranquillement et tu l'as regardée, sang compris. Drôle d'oiseau, va ! Reste comme ça.

Ne crains rien. Ne crains jamais rien de ta vie. Je crois que tu tiens ça de ton père. On n'est pas militaire pour rien, et tu étais tellement proche de lui jusqu'à ce que tu viennes vivre ici, l'an dernier.

Grandpa revint à son journal.

Une longue pause.

-Gramps ?

-Oui?

-Et si un homme n'avait pas de coeur ou de poumons ou d'estomac, et tout de même allait et venait, vivant ?

-Ça, grommela Gramps, ce serait un miracle.

-Je ne veux pas dire un... un miracle... Non. Je veux dire s'il était tout à fait différent à l'intérieur. Pas comme moi.

-Eh bien, il ne serait pas tout à fait humain, pas vrai, garçon ?

-Je crois bien que non, Gramps. Gramps, tu as un coeur et des poumons ?

Gramps rit à petits coups :

-Ma foi, à dire vrai, je n'en sais rien. Les ai jamais vus ni sentis.

Jamais eu une radio, jamais vu un médecin. Pour tout ce que j'en sais, je puis être aussi massif qu'une pomme de terre.

-Est-ce que j'ai un estomac, moi ?

-Aucun doute sur ce point ! cria Grandma depuis la porte du salon. Je le sais parce que je le nourris.



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