Philippe Curval by Curval Philippe

Auteur:Curval, Philippe [Curval, Philippe]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Anthologie SF
Éditeur: Pégase234 - TAZ
Publié: 1980-05-14T22:00:00+00:00

Quaunahuac descendit pesamment les gradins de la pyramide. Il prenait garde de ne pas se laisser entraîner par le vertige à sauter, à rouler vers le parvis de marbre lisse, brillant, blanc qui entourait la base du temple de Tlaloc. Ivre de pulque et de mezcal, le prêtre cherchait surtout à conserver son équilibre, sacrifiant une partie de sa dignité en descendant les marches à moitié accroupi, sa lourde cape de coton brun roulée autour de son bras gauche. Chaque fois que revenait la saison du rut, il ne pouvait résister à l’alcool. Pour cette raison, il avait légèrement anticipé sur la date de l’ouverture officielle en prenant prétexte des quelques cassettes glissées prématurément dans les confessionnaux ; il avait mis en marche les deux grandes enceintes de pierre qui flanquaient le bâtiment central de la pyramide pour s’accorder les premiers verres de pulque, poivrés, gorgés de la fade et verte saveur de l’agave fermenté. Depuis qu’il avait été castré, à l’âge de seize ans, et qu’il avait été confié à l’enseignement hypnotique des prêtres, Quaunahuac n’avait jamais passé le temps des saillies sans se consacrer à l’ivresse. Et pourtant, une lourde tâche l’attendait : depuis quelques années, le gouvernement de Coba lui avait confié la responsabilité écrasante de maintenir l’ordre avant le temps des saillies et surtout celle d’empêcher que de nouvelles hérésies ne se propagent à cette occasion.

En atteignant le sol, il poussa un soupir de soulagement et tomba lourdement sur le coccyx. La douleur fulgura à travers sa colonne vertébrale et se perdit quelque part, loin dans son corps, en un point que l’alcool rendait inaccessible. Le mezcal sans doute, qui désensibilisait progressivement ses nerfs. Des images naquirent dans ses yeux, isolées de la réalité : un homme, penché sur son chuchoteur, dont le nez s’épanouissait en un nuage pseudopode qui palpait sensuellement l’appareil transformé en tortue. Il ouvrit les yeux et la vision s’effilocha, lambeaux colorés dont les formes s’adaptèrent subtilement à l’environnement, arbre pour le nez, moto filante pour le chuchoteur, gazon vert pour le sol. Quaunahuac pensa qu’il avait interprété le paysage qui l’entourait pour créer sa vision. Ainsi il se rassurait, certain que l’imagination humaine ne peut dépasser les normes terrestres.

Pour se donner une contenance il s’appuya sur la rambarde d’acier qui filait à la base de la pyramide. Il s’assura que personne ne l’avait observé et marcha lentement sur deux cents mètres, environ jusqu’à la moitié du socle sacré. Là encore, le grand prêtre de la police vérifia qu’il était seul, sortit sa clé laser, projeta trois signaux rouges sur la dernière marche qui s’effaça.

La salle de commande centralisée brillait comme une galaxie bleue au fond de l’immense galerie qui s’ouvrait au pied des trente marches du couloir d’accès. Quaunahuac s’y dirigea. Il tombait tous les trois ou quatre pas et se relevait ; lucide, il savait dompter l’ivresse. Bientôt, il atteignit la salle où l’attendaient les hommes de fond, une dizaine en tout, et quelques prêtresses de sécurité qui lui avaient voué leur vie.

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