Petit éloge du Tour de France by Eric Fottorino

Petit éloge du Tour de France by Eric Fottorino

Auteur:Eric Fottorino [Fottorino, Eric]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Sport, Essai
ISBN: 9782072486241
Éditeur: Gallimard
Publié: 2016-09-14T22:00:00+00:00


Petit éloge des critériums

(d’après-Tour)

C’était le temps béni des critériums. À peine éteints les lampions de juillet, août les rallumait en invitant de ville en ville les grandes vedettes qui s’étaient illustrées dans la Grande Boucle. Les courses étaient plus ou moins arrangées. Les coureurs s’entendaient entre eux pour que chacun assure une partie du spectacle, rafle quelques primes offertes par le comité local des commerçants, ou franchisse en tête la ligne d’arrivée en s’échappant dans le tour final. Un faux suspense était soigneusement entretenu jusqu’aux derniers kilomètres. La hiérarchie était le plus souvent respectée. Le vainqueur était celui que les spectateurs voulaient voir gagner. Les organisateurs les plus ficelles — et aux arguments sonnants et trébuchants les plus alléchants… — s’attiraient les meilleurs. Ainsi le public emballé pouvait-il toucher du doigt le maillot jaune, obtenir les dédicaces de ses champions préférés, poser en leur compagnie sur des photos qui rejoindraient la vitrine aux souvenirs dans la salle à manger, entre le service en porcelaine et les poupées rapportées d’une virée sur la Costa Brava…

À La Rochelle, un certain Titi Favreau avait un entregent magistral pour composer des plateaux de coureurs plus alléchants encore que les plateaux de fruits de mer du Bar André, un célèbre établissement du port que je ne cite pas au hasard. Derrière le comptoir, des étagères croulaient sous un amas de coupes rutilantes, souvenirs de critériums cyclistes qui s’étaient terminés en troisième mi-temps devant quelques tourteaux à grosses cuisses (des sprinters sans doute) et quelques boissons à bulles… Fièrement accrochés tels des étendards, les maillots jaunes dédicacés par Jacques Anquetil et Luis Ocaña, dont Titi Favreau, aujourd’hui disparu, avait fait ses complices. À l’époque, je n’ai jamais osé entrer au Bar André pour approcher ces trophées. Je me contentais de rester à l’entrée et d’admirer de loin les précieuses tuniques, profitant qu’un client entrait ou sortait, espérant que la porte resterait entrouverte assez longtemps pour que je puisse assouvir ma curiosité.

Si ma mémoire ne déraille pas, il me semble qu’Anquetil se taillait la part du lion dans ce tableau d’honneur. Je crois revoir plusieurs des maillots qu’il porta, outre le jaune : une tunique orange et blanc de la Bic (à moins que ce ne fût celle d’Ocaña), un maillot bleu ciel et blanc de l’ancienne équipe Ford. Il est vrai que le champion normand avait laissé ici des traces inoubliables. En 1962, c’est dans le chrono disputé entre Luçon et La Rochelle qu’il avait décroché le maillot jaune, au terme d’un duel intense avec l’hercule italien Ercole Baldini. Il m’arrivait à l’entraînement de passer sur ces routes interminables qui menaient à la Vendée. Des « tout droit » sur des kilomètres, bordés de marais et d’ajoncs, où le vent gonflait les manches à air et contrariait l’envol des hérons. Cela se passait sur les routes d’entraînement, entre Villedoux et Charron. Chaque fois que je luttais seul sur ce parcours ingrat, je pensais à Anquetil lancé comme une fusée dans ce contre-la-montre, aplati sur sa bécane, narguant les bourrasques, le torse parallèle au cadre du vélo, pédalant souple, respirant ample.



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