L'ombre du grand mur by Léo Malet

Auteur:Léo Malet
La langue: eng
Format: mobi
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

L’air profondément embarrassé, Dick Mahoney était maintenant assis sur l’extrême bord d’une chaise. Sa tête baissée sur la poitrine empêchait de voir ses yeux noyés d’alcool. De temps à autre, ses pieds s’agitaient en cadence.

Devant lui, Ralph Big Stryke se frottait les mains, un éclair de haine dans ses yeux marron.

Il n'avait pas digéré que l’autre l’eût laissé tomber en plein danger. Une sorte de frayeur rétrospective lui serrait les flancs. Sans le hasard et ma présence chez Christiane, il y passait.

De ce coup dur, auquel il avait échappé de justesse, il allait se venger sur le toubib défaillant.

Maintenant, Dick Mahoney était immobile sur sa chaise, et Ralph Big Stryke lui passait un savon.

C’était toujours dangereux de se faire passer un pareil savon par le boss, et Dick Mahoney ne l’ignorait pas.

Les jambes écartées, les pouces courant le long de ses bretelles, Ralph parlait, sans desserrer les dents de sur son cigare noir. Il affectait un calme que les expressions successives de son visage démentaient, un calme apparent plus tragique que la plus sombre fureur.

— Il y a trop longtemps que cela dure, disait-il. Cela ne peut pas continuer... Un coup de whisky de temps en temps, ça passe; mais l'ivrognerie permanente, dans notre boulot, c’est déplacé. Tu finirais par faire des bêtises... Comprends-moi bien, Dick; ce n’est pas une question de morale, de préjugé..… C’est une question de sécurité... Quand on est noir, il arrive qu’on parle à tort et à travers.

Quand le Chef eut terminé sa diatribe, Dick Mahoney leva la tête et le regarda sans ciller. Il ne trahissait aucune frayeur. Mais la perception de son sort l’avait dégrisé.

— Compris, dit-il, d’une voix légèrement pâteuse. Mes carottes sont cuites, hein ?

— On t’a plusieurs fois rappelé à l’ordre, fit Stryke, en guise de réponse.

— Je sais... Et je n’en ai guère tenu compte, hein ?

— Il y a deux mois, on a eu besoin de toi. Bien entendu, pas de Dick Mahoney... On te trouve seulement aujourd’hui... Un peu tard pour extraire des balles reçues il y a soixante jours.

— Oui, je sais... Je ne suis pas très sérieux, ce n est pas la première fois que vous me le dites... C’est vous qui étiez blessé, hein ?

En dépit des circonstances, un éclair malicieux dansait dans ses prunelles. Il comprenait que l’autre avait surtout eu la frousse et que c'était de cela qu’il lui tenait rigueur.

— ... Vous vous en êtes quand même tiré. Tant mieux.

Il parcourut l'assistance d’un regard aqueux, mais lucide.

— Bon, fit-il, comme s’il venait de conclure une affaire particulièrement avantageuse. Vous avez toujours été de chics types, les gars… Laissez-moi vous quitter sur une bonne impression... Donnez-moi un flacon de Rye... qu’au moins je profite jusqu’ au bout de ce qui cause ma perte... Et préparez vite la bagnole qu’on en finisse…

Il alluma une cigarette d’une main agitée d’un tremblement alcoolique. Dick Mahoney était brave. Il estimait juste la sentence des gangsters. Il l'acceptait, non avec résignation, mais courageusement.

J’éprouvais instinctivement une certaine sympathie pour cet homme.

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