Les Cités intérieures, Tome 1 : L'Ange écarlate by Natasha Beaulieu

Les Cités intérieures, Tome 1 : L'Ange écarlate by Natasha Beaulieu

Auteur:Natasha Beaulieu [Beaulieu, Natasha]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature québécoise, Roman, Fantastique, Érotisme, Vampires, Horreur
ISBN: 9782896156337
Éditeur: Alire
Publié: 2011-12-14T00:14:00+00:00


Montréal, 4 octobre 1997

Assis dans les toilettes du Terminus Voyageur, Ian appuya sur le mécanisme qui ouvrait la semelle creuse de sa botte gauche. Sous les billets bruns, il récupéra le petit étui oblong en velours bourgogne, dont il souleva le rabat. Il en sortit une sorte de dé en argent poli qui se prolongeait en un ongle effilé. Il le porta à ses lèvres, le baisa, puis y inséra son index droit. Il releva la manche gauche de sa blouse pourpre jusqu’au coude et serra le poing. D’un mouvement sec, il enfonça un des ongles fétiches de l’Ange écarlate dans la veine la plus saillante. Il plaqua ensuite ses lèvres contre la peau perforée, ferma les yeux, et suça longuement jusqu’à ce que sa bouche soit remplie du liquide tiède au goût métallique.

Les images d’une Cité macabre se bousculèrent alors dans sa tête. Il vit d’abord des rats. Des milliers de rats se faufilant dans des montagnes de détritus et d’immondices. Puis des hommes et des femmes, à la mine patibulaire et au teint livide, se réchauffant autour de barils d’huile enflammée ; des maisons délabrées dont les carreaux des fenêtres avaient été remplacés par des planches clouées ; plusieurs portes marquées d’un gros « x » rouge ou bleu ; le regard effrayé d’enfants rachitiques ; des ruelles encombrées de cadavres aux plaies purulentes. Il sentit, comme s’il y était, des odeurs de maladie. De putréfaction. Un fléau soufflait son mal sur cette Cité laide, sale et sombre.

Vibrant d’euphorie, car ces images stimulaient son imaginaire créatif, Ian enfonça ses dents dans sa chair et, plutôt que de lui faire mal, la sensation l’excita. D’une main nerveuse, il défit la braguette de son pantalon de cuir et il empoigna son membre en érection. En se masturbant, il mordit de plus belle dans sa chair qu’il déchira furieusement. Il se mit à grogner tandis que le sang maculait son visage et dégouttait sur le plancher. Le regard dément, Béluterre éjacula en poussant un long cri.

Dix secondes plus tard, quelqu’un entrait dans les toilettes et frappait contre la porte du cabinet où il était enfermé.

— Ouvre la porte sinon j’la défonce !

Ian sortit de sa torpeur. Avachi sur le siège des toilettes, les jambes écartées, il regarda son avant-bras blessé couvert de sang et la tache visqueuse qui luisait sur son pantalon.

— Qu’est-ce qu’y a, cria-t-il, on a pu l’droit d’chier en paix ?

Jimmy Novak refaisait surface.

— Il y a quelqu’un qui t’a entendu gueuler. On pensait que t’avais un problème ou que t’avais besoin d’aide. Remonte ton froc, j’aimerais te poser deux ou trois questions.

— Donne-moi deux minutes pour me torcher.

Ian suça l’ongle fétiche et le reglissa dans son étui. Il plongea ensuite son bras rougi dans la cuvette pour le rincer, puis il entoura la blessure de plusieurs couches de papier hygiénique. Il prit sa redingote, suspendue au crochet derrière la porte, il tira la chasse d’eau et s’apprêta à sortir lorsqu’il songea à l’aspect que devait avoir son visage.



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