Kaki by Robert Dickson

Kaki by Robert Dickson

Auteur:Robert Dickson
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 978-2-89423-516-4
Éditeur: Prise de parole
Publié: 2012-11-05T00:00:00+00:00


Connaissance charnelle

Au cours de sa troisième année au pensionnat, sur une période de plusieurs mois, la jeune fille est à toute fin pratique incapable de manger. Déjà à sa première année elle éprouvait de la difficulté à manger cette nourriture étrange et fade, mais elle s’y était résignée. À présent tout lui répugne: la viande filandreuse, les légumes insipides, le lait tiède sur lequel se forme une peau qui lui colle aux lèvres, le pouding au tapioca aux grumeaux gluants. Même le goût de l’Eucharistie chaque matin lui donne des nausées, ce mince pain fait chair, fait sang sur sa langue avant de se décoller de son palais, de râcler dans sa gorge et le long de la paroi de son estomac, pour aller rejoindre la pourriture de ses intestins. Chaque matin, alors qu’elle s’agenouille à la balustrade devant les nappes en dentelle empesées et lève les yeux vers la main parfumée qui la bénit, elle se demande quel morceau du corps du Christ elle est sur le point d’ingurgiter. Quel organe, quel membre, quelle entraille ou quelle blessure. Quel mucus, quelle moelle, quel liquide séminal.

Il en est ainsi depuis le soir où elle a refusé de manger sa portion de foie de porc bouilli. Au milieu du bruit métallique des couteaux, des fourchettes et des cuillers et du bourdonnement d’une voix qui lisait une épître ou une leçon, elle avait remarqué la lassitude avec laquelle toutes les filles mâchaient leur nourriture. Chaque soir, à l’exception du son des ustensiles et de la mastication, le souper se déroulait en silence, chaque fille regardant les autres mâcher, chaque visage un témoin de la détresse de ne pas pouvoir communiquer son écœurement. Jusqu’à ce qu’elle dise, tout simplement, non, je ne mangerai pas ce morceau de foie de porc bouilli. Non. Peu importe combien de temps je devrai passer sur ce tabouret de réfectoire.

Au début, les menaces de la sœur étaient sans appel. Nous resterons ici toute la nuit s’il le faut. Assieds-toi le dos droit. Mais après trois ou quatre heures, il devint évident que rien n’inciterait la jeune fille à céder devant la masse grise informe dans son assiette. Même pas les menaces de réveiller Mère Supérieure. À la fin, les supplications ont cédé la place au raisonnement. Il te faut manger pour maintenir tes forces. L’équation n’était que trop familière. Si ce que le prêtre avait dit était vrai, que le vin se transformait en sang et le pain en chair, rien de bien ne pourrait évoluer à partir de cette viande morte. La jeune fille elle-même pourrait se transformer en cochon.

La première année, une fois remise du choc de se retrouver loin de chez elle, elle avait renoncé à tout pouvoir sur sa petite vie. Il n’y avait rien à faire que de se soumettre aux représentantes de Dieu, les sœurs, jour après jour. Elle se retrouvait sans choix, sans voix, sans voix au chapitre. Mais elle avait découvert un domaine où elle pouvait exercer un certain contrôle. Personne ne pouvait l’obliger à manger ce qu’elle ne voulait pas manger.



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