L'Envers du monde by Gabriel Katz

L'Envers du monde by Gabriel Katz

Auteur:Gabriel Katz [Katz, Gabriel]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fantasy
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


27

Une pierre traversa le carreau pour venir rebondir sur les dalles dans un fracas de verre brisé. Imras sursauta. Il ne pouvait travailler qu’en silence, d’où les petits tampons de toile qu’il roulait dans ses oreilles, mais pour ne pas entendre un tel vacarme, il fallait être sourd.

– Bande de chenapans !

À son âge – si respectable qu’il ne l’avouait plus –, Imras appelait chenapan tout ce qui ressemblait à un jeune, parlait fort et défiait l’autorité. Les émeutiers qui hurlaient dans la rue ne différaient guère à ses yeux des chenapans qui avaient peinturluré sa porte, ou de ceux qui lui avaient volé du fourrage, un hiver de disette. Des gamins mal élevés, voilà ce qu’ils étaient.

Il ramassa la pierre en maugréant. Son échoppe, il en était fier, c’était son œuvre, c’était son enfant. Lorsqu’il l’avait ouverte, soixante ans plus tôt, le quartier regorgeait de vendeurs de plumes et d’encriers de luxe, aujourd’hui il était presque le seul. Les jeunes n’y connaissaient plus rien. Une plume mal taillée, qu’elle soit d’oie, de canard, de pigeon même, leur suffisait à écrire leurs pattes de mouche – car plus personne ne se souciait de belle calligraphie. Personne, sauf les prêtres. C’était ainsi que le Temple, qui se fournissait presque exclusivement chez Imras, avait fait sa fortune.

La clochette tinta ; un homme de haute stature, vêtu d’un tablier de cuir, entrait dans la boutique.

– Bonjour, grommela Imras, qui savait reconnaître un mauvais client. Que puis-je pour toi ?

L’homme fit quelques pas dans l’échoppe, admirant les encriers avec un hochement de tête. Lorsqu’il parvint au tableau de bois où étaient clouées une dizaine de plumes – car l’on choisissait sa taille : en biseau, en pointe, double, arrondie –, il laissa entendre un rire gras.

– C’est quoi ça ?

– Des échantillons de taille.

– Ah ouais ? Et ça, là ?

Imras leva la tête, surpris. L’homme montrait la niche dans laquelle une statuette de la Déesse, offerte par un grand ponte du Temple trente ans plus tôt, veillait sur la boutique.

– Tu vois bien ! Écoute, si tu n’achètes rien, je n’ai pas de temps à perdre, on m’a déjà cassé un carreau, comme tu vois.

– Pauvre chou.

D’un revers de la main, l’homme balaya une étagère, faisant choir des encriers de verre soufflé importés du grand sud. Malgré les protestations du vieil homme, il piétina ce qui restait, avant de disperser une poignée de plumes sur le sol.

– À la garde ! cria Imras en se ruant à la porte.

– La garde ? Dans quel monde tu vis ? s’exclama l’homme au tablier. Tu ne vois pas ce qui se passe dehors ?

L’émeute, en effet, tournait à la guerre civile. Les quartiers sud étaient en feu. Plus une échoppe ouverte, plus une auberge, rien qu’un immense refuge protégé par des fortifications de fortune : des meubles et des carrioles, dont on s’était servi pour bloquer les rues. Les barrages des émeutiers faisaient face à ceux de la garde. Près d’une semaine après leur entrée



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