Le second souffle by Philippe Pozzo di Borgo

Le second souffle by Philippe Pozzo di Borgo

Auteur:Philippe, Pozzo di Borgo [Philippe, Pozzo di Borgo]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Témoignage, Lang:fr
Publié: 2013-01-05T21:00:00+00:00


Kerpape

Voici déjà plus d’un an que je suis allongé. Béatrice me porte à bout de bras et de force ; je ne fais plus qu’un avec elle. Avec nos corps meurtris, nous sommes les chouchous de Kerpape, le centre de rééducation, situé sur la côte bretonne. Elle est si belle. Je marche sur l’eau dans ce monde d’épaves. La mer à nos pieds berce nos rêves. La formule sanguine de Béatrice connaît un état stationnaire, « une plage » que les médecins ne s’expliquent pas. Elle m’accompagne dans tous mes déplacements, m’encourage dans tous mes exercices. Nous avons des journées chargées.

Il m’a fallu des mois pour apprendre à m’asseoir; on vous allonge sur une table de verticalisation, dans une salle percée de grandes baies vitrées qui donnent sur l’Atlantique. Jour après jour, on augmente l’inclinaison d’un degré jusqu’à ce que, triomphant, vous vous retrouviez debout, attaché sur cette table, et qu’enfin vous puissiez regarder les kinés et les aides-soignants dans les yeux. Finie cette vision de trous de nez ! Une fois verticalisé, vous pouvez vous asseoir dans un fauteuil.

Je suis quasiment allongé dans le fauteuil, la commande sous le menton. Rapidement, je deviens un as du volant et rivalise avec les enfants du centre, qui n’ont peur de rien. Cette jeunesse a beau souffrir atrocement, elle rit, elle est gaie. Son rire contamine les adultes. Comment ne pas être gagné par l’immense espoir qui règne dans ce centre? Chaque patient est un cas unique. À la base de la hiérarchie, les « genoux », ceux qui remarcheront un jour. Ils se mettent à la disposition des tétraplégiques, définitivement au sommet de la paralysie. D’autres sont dans des tours de plâtre ; des structures métalliques dépassent du haut de leurs crânes. Ils sont si fragiles qu’on a dû les bétonner. L’un d’entre eux, un Africain, riait si fort de ses grandes dents blanches qu’il est lentement tombé en arrière. Il n’y a pas eu moyen de le retenir. Il s’est étalé de tout son long. On a entendu le bruit du plâtre et de la ferraille sur le sol ; il a survécu.

Béatrice a un mot gentil pour tous ; elle passe parfois du temps avec ceux qui n’ont pas le moral. On sait quand ils dépriment : ils sont absents de la cantine et préfèrent rester seuls pour pleurer dans leurs chambres ; elle cherche alors à savoir si elle peut leur rendre visite. Le personnel soignant est d’une douceur, d’une gentillesse inimaginables dans le milieu hospitalier. Les patients restent longtemps, un an en moyenne; Christophe est là depuis cinq ans. Tout jeune, il a attrapé un virus ; à présent, il est tétra comme moi ; toute la journée, il a froid et ne décolle pas des radiateurs muraux. L’été, lorsque le soleil frappe les vitres, vous le trouverez derrière l’une d’entre elles, transpirant, mais gelé. Les tétras ont ce problème: le dérèglement thermique. Malgré les brûlures neurologiques qui me consument en surface, j’ai souvent les os froids.



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