Le Regard féminin - Une révolution à l'écran by Iris Brey

Auteur:Iris Brey [Brey, Iris]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Performing Arts, Film, History & Criticism, Art, General
Éditeur: L'Olivier
Publié: 2020-02-04T23:00:00+00:00

Ce chapitre n’est pas exhaustif. Le but n’était pas de compiler les films et les séries où sont représentés des viols mais de rendre compte, à travers des exemples précis, de la manière dont le viol est dépeint dans notre paysage audiovisuel. On peut en tirer plusieurs conclusions. Dans la grande majorité des films, le viol est utilisé comme un moyen narratif paresseux pour ajouter du piment à une intrigue. Il est soit érotisé, soit montré de manière brutale, et ses conséquences sont effacées dans la vie de la victime. Ce manque de représentations du viol à travers le female gaze a évidemment des incidences et participe à la perpétuation d’une culture du viol. Nous venons de passer plus de cent ans à regarder des femmes être violentées dans des œuvres de fiction en nous habituant à voir ces images comme érotiques et sensationnelles et en oubliant de les questionner. Alors que le viol et les violences faites aux femmes sont des épidémies qui ravagent nos sociétés, les viols, eux, continuent à apparaître sur nos écrans pour faire de l’audimat. Comme l’explique Valérie Rey-Robert : « Les relations sexuelles entre hommes et femmes sont fondamentalement vues comme de l’exploitation ; le viol apparaît donc comme un élément parmi d’autres sur un continuum d’exploitation. Il n’est ni horrible, ni terrifiant mais au contraire banal32. »

Dans la minorité de films et de séries qui représentent l’expérience du viol exclusivement du point de vue féminin, la victime est presque toujours blanche33 et la fiction se déroule soit dans un monde dystopique, soit dans le cadre d’un genre précis, le Rape and Revenge, qui s’éloigne du réalisme. Il est quasiment impossible encore de montrer le viol d’un personnage féminin d’une manière réaliste et naturaliste. Certes les histoires des films de Rape and Revenge (de Elle à Baise-moi) ont permis de montrer les victimes comme des femmes qui retrouvaient une capacité d’agir et donc de sortir de leur statut de victime, mais il me semble essentiel que d’autres types d’histoires puissent situer la représentation d’un viol et de ses conséquences dans un contexte réaliste, comme la série The Americans, où le trauma du viol de l’héroïne ressurgit plus tard dans sa vie, ou la série Unbelievable, qui suit le parcours du combattant de femmes qui ne sont pas crues par la police quand elles portent plainte, ou bien le film allemand Comme si de rien n’était.

Le female gaze permet de ne plus faire du viol un spectacle et de le donner à voir comme une expérience qui laisse des traces dans notre chair. Si nos écrans étaient inondés de représentations de viol à travers un regard féminin, j’ose imaginer que notre culture du viol s’effriterait. Si les hommes et les femmes devant leur écran ressentaient dans leur corps la déshumanisation qu’engendre cet acte, sa violence qui ravage, la défiguration qu’il opère, alors peut-être que les hommes, car 98 % des violeurs sont des hommes34, réfléchiraient à deux fois avant de pénétrer un corps sans le consentement de l’être humain en face d’eux.

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