Le programme Lazare by Brice REVENEY

Auteur:Brice REVENEY [REVENEY, Brice]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Hachette
Publié: 2023-01-25T11:48:26+00:00

Linge propre

Cinq mois à peine s’étaient écoulés depuis l’incident des jouets outragés. Les doutes que j’avais eus sur la raison de Mme Goubreau ont fait place à l’évidence aux yeux de tous, Monastère, Tutelle, médecins. Ceux de l’hôpital où elle se trouve en observation nous ont confié leurs premières vues : pour la première fois, son cerveau n’était plus parvenu à gérer le conflit entre l’illusion et la réalité. Son champ de conscience s’était contracté en opérant un accès d’amnésie sélective ; qu’elle poursuive sur cette corde raide et la constitution d’un scotome définitif était à craindre.

À en croire son mari et les rapports thérapeutiques, elle avait jusque-là jonglé entre les deux univers avec une aisance sans faille. Peut-être que l’incident des jouets, en la posant à ses propres yeux comme une manipulatrice, l’a nourrie d’un tel dégoût d’elle-même qu’elle a préféré basculer dans la fiction pure, une dénégation qui ne pouvait voisiner avec un introuvable linge sale… Allez savoir ce qui se passe dans la tête d’une mère. Mais de grâce, allez-y seul.

On m’a dit qu’après avoir fait placer sa femme en unité psychiatrique, M. Goubreau a tenté vainement de joindre les services de la Tutelle pendant une demi-journée. À présent, il était au chevet de sa femme, qui, si elle ne réclamait plus après Marjorie, s’abîmait dans une dépression profonde. Lui, furieux, exigeait une solution, et à juste titre ; il était à craindre que madame Goubreau retrouvant son chez-elle s’enquière à nouveau tôt ou tard du linge sale de Marjorie. Cette mère était allée trop loin dans l’illusion.

« Cette affaire symptomatise un malaise général, m’affirma Frère Marjorie ce soir-là. Pourquoi les gens ne respectent-ils pas Marjorie ? Parce que nous-mêmes ne la respectons pas. Nous ne respectons pas son rapport à l’environnement, alors l’environnement nous le fait payer. Tant que nous ne restituerons pas à Marjorie la vraie place qui lui est due, les gens contesteront son droit à revenir parmi nous.

— Frère Marjorie, le recentrais-je. Nous parlons de madame Goubreau.

— Moi aussi. Seulement, ma dette va bien au-delà des Goubreau ! Elle est d’abord envers Marjorie. Et je dis que la place de Marjorie se définit par son rapport matériel au monde.

— J’insiste, Frère Marjorie. Le Programme a pour vocation d’aider les parents.

— C’est précisément pour ça que nous n’exploitons qu’une petite partie des possibilités du Programme : parce que notre champ de vision s’arrête à la famille. Rendez-vous compte, insiste-t-il en se penchant par-dessus mon bureau. Pour la première fois, l’incomplétude du Programme est flagrante aux yeux de la Tutelle… Pour la première fois, nous sommes en devoir de replacer Marjorie au centre de son environnement, parce que sa mère ne pourra plus se contenter d’un simple travail de reconstitution intellectuelle sans repiquer une crise… »

Il se lève et poursuit :

« D’après vous, pourquoi toutes ces simagrées de madame Goubreau pour la Médecine ? Elle veut que Marjorie irradie une présence sociale qui ne souffre pas de discussion, parce qu’en l’état du Programme, c’est la seule présence que nous pouvons lui fournir.

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