Le Jardin des supplices by Octave Mirbeau

Le Jardin des supplices by Octave Mirbeau

Auteur:Octave Mirbeau [Mirbeau, Octave]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Romans
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2011-07-26T06:54:21+00:00


III

Le bagne est construit au bord de la rivière. Ses murs quadrangulaires enferment un terrain de plus de cent mille mètres carrés. Pas une seule fenêtre ; pas d’autre ouverture que l’immense porte, couronnée de dragons rouges, armée de lourdes barres de fer. Les tours des veilleurs, des tours carrées que termine une superposition de toits aux becs recourbés, marquent les quatre angles de la sinistre muraille. D’autres, plus petites, s’espacent à intervalles réguliers. La nuit, toutes ces tours s’allument comme des phares et projettent autour du bagne, sur la plaine et sur le fleuve, une lumière dénonciatrice. L’une de ces murailles plonge dans l’eau noire, fétide et profonde, ses solides assises que tapissent des algues gluantes. Une porte basse communique, par un pont-levis, avec l’estacade qui s’avance jusqu’au milieu du fleuve, et aux charpentes de laquelle sont amarrés de nombreuses barques de service et des sampangs. Deux hallebardiers, lance au poing, surveillent la porte. À droite de l’estacade, un petit cuirassé, du modèle de nos garde-pêche, se tient immobile, la gueule de ses trois canons braquée sur le bagne. À gauche, aussi loin que l’œil peut apercevoir la rivière, vingt-cinq ou trente rangées de bateaux masquent l’autre rive d’un fouillis de planches multicolores, de mâts bariolés, de cordages, de voiles grises. Et, de temps en temps, l’on voit passer ces massives embarcations à roue que des malheureux, enfermés dans une cage, actionnent péniblement de leurs bras secs et nerveux. Derrière le bagne, au loin, très loin, jusqu’à la montagne qui ceinture l’horizon d’une ligne sombre, s’étendent des terrains rocailleux, avec de courtes ondulations, des terrains, ici, couleur de bistre, et là, de sang séché, dans lesquels ne poussent que des acers maigres, des chardons bleuâtres et des cerisiers rabougris qui ne fleurissent jamais. Désolation infinie ! Accablante tristesse !… Durant huit mois de l’année, le ciel reste bleu, d’un bleu lavé de rouge où s’avivent les reflets d’un perpétuel incendie, d’un bleu implacable où n’ose jamais s’aventurer le caprice d’un nuage. Le soleil cuit la terre, torréfie les rocs, vitrifie les cailloux qui, sous les pieds, éclatent avec des craquements de verre et des crépitements de flamme. Nul oiseau ne brave cette fournaise aérienne. Il ne vit là que d’invisibles organismes, des grouillements bacillaires qui, vers le soir, alors que les mornes vapeurs montent avec le chant des matelots de la rivière exténuée, prennent distinctement les formes de la fièvre, de la peste, de la mort !

Quel contraste avec l’autre rive où le sol, gras et riche, couvert de jardins et de vergers, nourrit les arbres géants et les fleurs merveilleuses !

Au sortir du pont, nous avions pu, par bonheur, trouver un palanquin qui nous transporta, à travers la brûlante plaine, presque au bagne dont les portes étaient encore fermées. Une équipe d’agents de police, armés de lances à banderoles jaunes et d’immenses boucliers derrière lesquels ils disparaissaient presque, contenait la foule impatiente et très nombreuse. À chaque minute, elle grossissait. Des tentes étaient dressées où l’on buvait du



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