Le carillonneur by Georges Rodenbach

Le carillonneur by Georges Rodenbach

Auteur:Georges Rodenbach [Rodenbach, Georges]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Publié: 2012-03-21T20:51:57+00:00


IV

Depuis le demi-aveu de Godelieve, son soupir d’élégie, Borluut se sentit envahi par une indicible douceur. Dans le grand désastre de sa vie, quelqu’un avait pitié, quelqu’un l’aimait un peu.

Qu’important dorénavant la dureté de Barbe, les misères, les scènes, les jours sans sécurité, les nuits sans amour ! Godelieve était présente, attentive, aimante, déjà amante peut-être… Oui ! elle s’était toute divulguée dans cette phrase qui désormais vit en lui, s’accroît comme des lettres sur un arbre. Godelieve l’avait aimé, et elle l’aimait encore. Borluut, à cette idée, frémissait de trouble et d’attente. De regret aussi ! Ils avaient tous deux laissé passer le bonheur entre eux sans l’arrêter. Comment furent-ils aveugles ainsi ? Quel mirage avait égaré leurs yeux ? Tout à coup, ils voyaient clair ; ils se voyaient l’un l’autre, comme à jour ! Mais il était trop tard. Le bonheur est de ne faire qu’un, en étant deux. C’était le rêve désormais impossible.

Pourtant Joris s’exalta, rayonna du renouveau qui lui mettait le cœur en fête. Depuis que Godelieve avait parlé, il sentait en lui quelque chose d’imprévu et de délicieux, on ne sait quoi qui n’est pas une musique et qui chante, une clarté qui n’est pas du soleil et qui éclaire. Miracle du printemps de l’amour. Oui ! il recommençait à aimer, car il se sentit soudain un cœur neuf et des yeux neufs. La vie, hier encore, était si vieille, si fanée, si usée d’efforts et de siècles ! Aujourd’hui, elle lui apparaissait nouveau-née, sortie elle aussi d’un déluge, avec des visages vierges, une verdure qui s’inaugure !

L’amour nouveau suscite un Univers nouveau.

Pour Borluut, l’émerveillement se compliquait d’une sensation de convalescence. Qu’on imagine un malade longtemps en proie à des crises et des affres, accablé par le demi-jour, des odeurs fades, la diète, des potions, les pulsations fiévreuses de la veilleuse, tandis qu’il ne pense qu’à mourir ; puis soudain le revirement, la guérison, celle qui fut la garde-malade devenant aussitôt l’amoureuse.

Joris entra ainsi de plain-pied de la mort dans l’amour. Car il aimait.

Ce qui ne fut d’abord qu’un trouble, l’émoi de la présence d’une femme jeune dans sa maison, devint bientôt une obsession, de l’amour déjà, la griserie d’une passion mutuelle.

Car le fait d’habiter avec elle l’illusionnait. Ils vivaient ensemble, tout le jour et la nuit, sous le même toit, comme un couple qui s’est conquis. Il est vrai qu’ils étaient contrariés par la présence de Barbe, mais leurs âmes se parlaient, dans cette union spirituelle qui n’allait qu’à se consoler l’un l’autre et à regretter à deux. Leurs yeux aussi se rencontraient, se touchaient. Ah ! cette caresse des yeux sur les yeux, qui ressemble à celle des lèvres sur les lèvres, et qui est déjà de la volupté !

Quelque chose de charnel naquit entre eux.

Car, à vivre ensemble, ils se dévoilaient sans cesse l’un à l’autre un peu de leur intimité. Godelieve, si foncièrement chaste, ne songeait pas au péril de se montrer en négligé, dans la simplicité d’une robe d’intérieur. Mais, en cette toilette sommaire, elle transparaissait.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.