L'étoffe de nos rêves by Frédéric BAPTISTE

L'étoffe de nos rêves by Frédéric BAPTISTE

Auteur:Frédéric BAPTISTE [Baptiste, Frédéric]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Julliard
Publié: 2022-04-08T13:59:59+00:00


La première fois que le metteur en scène lui a proposé de jouer les rôles féminins dans les pièces qu’il montait – en référence à l’époque de Shakespeare où les femmes étaient interdites sur les plateaux de théâtre, tous les rôles étant interprétés par des hommes –, Sam a pris la proposition comme un défi. Il s’est dit : « Si tu étais né femme, comment serais-tu ? Pas comment te sentirais-tu dans la peau d’une femme, mais bien comment serais-tu ? » Être. La question essentielle pour un acteur. Alors il a répondu à Erwan, le metteur en scène, qu’il ne participerait à l’aventure qu’à condition d’y croire lui-même et de faire croire aux autres qu’il était une femme dans la vie de tous les jours. Pour cela, Sam a demandé un petit budget, afin de réaliser des essais de maquillage, de coiffure, d’habillage, tâtonnant jusqu’à ce que la composition soit authentique. Vraie. Lorsqu’il a constaté le résultat sur les photos prises par Erwan et dans le regard des inconnus qu’il croisait dans la rue, il a reconnu y être parvenu. Une ombre s’était toutefois glissée au tableau. Sam était choqué – en réalité meurtri – de ne pas paraître physiquement attirante, tel qu’il le présumait. Au fond de lui, il était persuadé d’être une belle femme. Séduisante et sexy. Ça n’était pas le cas. Les premières années, du moins. Alors, il a pensé à toutes celles qui ne sont pas dans les canons esthétiques de leur époque, que les hommes ne désirent pas, ni même ne regardent, et que la société met au ban de la sexualité, ressentant à leur égard une immense empathie. De ce jour, Sam a décidé qu’il incarnerait ces femmes-là sur scène, les méprisées, les laissées-pour-compte, les « trop ceci pas assez cela », cette humanité offensée dont le véritable éclat vient d’une blessure. Ainsi s’est-il pris d’affection pour les anti-héroïnes de Shakespeare, apportant à chacune, y compris Titania, l’étincelante et désirable reine des fées du Songe d’une nuit d’été, une part extrême de vulnérabilité. Il créerait des femmes d’une beauté fragile et éphémère. Une beauté à part.

Être une femme, Sam a toujours eu ça en lui. Enfant, il prenait autant de plaisir à s’amuser dans la serre avec les outils de jardin de son père qu’à coudre des habits pour des personnages de filles imaginaires qu’il inventait devant le miroir, le temps d’un après-midi. Il retouchait les robes que sa mère ne mettait plus, se fabriquait des jupes avec un vieux jean ou une taie d’oreiller. Il encerclait des billes dans du fil de fer et se confectionnait des bijoux originaux qu’il vendait ensuite dans les vide-greniers, afin de ne pas attirer les soupçons sur lui. Plus qu’être femme, c’était changer de peau qu’il aimait. Acteur, il avait souhaité le devenir depuis le jour où, à l’école, il avait participé à un petit spectacle sans paroles. Il jouait un Pierrot qui devait décrocher la lune. À huit ans, ça marque ; du moins quand on a le théâtre dans le sang, ce qui était son cas.



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