L'Atelier by Grumberg Jean-Claude

L'Atelier by Grumberg Jean-Claude

Auteur:Grumberg, Jean-Claude [Grumberg, Jean-Claude]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature française, Théâtre
Éditeur: Flammarion
Publié: 2013-10-30T08:54:06+00:00


Scène 6

La concurrence

L’atelier un jour de 1948 avant midi. La table de presse est inoccupée.

Gisèle travaille debout à la table d’entoilage (114). Marie est enceinte jusqu’aux yeux.

GISÈLE, tout en travaillant. – Je lui ai dit tu feras ce que tu veux plus tard, quand tu seras mariée, pour l’instant c’est encore moi qui commande…

MARIE. – Qu’est-ce qu’elle vous a répondu ?

GISÈLE, haussant les épaules. – Rien, elle était déjà sur le palier, je sais même pas si elle m’a entendue.

MIMI. – Ça on te fait confiance pour ce qui est de gueuler.

GISÈLE. – Ben tu peux parler, toi !

MARIE. – Vous savez, c’est normal à son âge de vouloir sortir… quand on est mariée on peut encore moins…

MADAME LAURENCE. – Vous aimeriez « sortir » dans votre état ?

MARIE. – J’ai pas dit ça…

GISÈLE. – « A son âge », figurez-vous que moi à son âge, je sortais pas non plus…

MIMI. – Et tu vois ce que ça donne ! (Gisèle la regarde sans comprendre.) T’aimerais que ta fille devienne comme toi ?

GISÈLE. – Je suis pas si mal, y a pire, j’ai pas à me plaindre…

MADAME LAURENCE. – Vous faites pas votre âge, c’est sûr…

GISÈLE, vexée. – Merci beaucoup. (Silence. Gisèle pour elle.) Sortir, sortir, elles ont que ce mot-là à la bouche, moi j’aime rentrer, là…

MIMI. – Pour t’engueuler avec ton jules (115) ?

GISÈLE. – On s’engueule pas tout le temps !

MIMI. – Ah ! je vois ça d’ici : l’amour vache !

Elle fredonne une java.

SIMONE, à Gisèle. – Et la plus jeune ?

GISÈLE. – Oh ! elle, sans problème.

MIMI. – Ça la démange pas encore…

GISÈLE, à Mimi. – Oh ce que tu peux être dégueulasse, vraiment on voit bien que t’as pas de môme… (À Simone.) Elle suit bien à l’école et… enfin ça va… je touche du bois… pourvu que ça dure…

MARIE. – Vous voulez qu’elles fassent quoi vos filles plus tard ?

MlMI, à Simone et Marie, la bouche en biais (116). – Le tapin (117) tiens !

GISÈLE. – Vous voyez, je me plains pas mais j’aimerais pas qu’elles se retrouvent comme moi toute la sainte journée à tirer l’aiguille, je m’excuse, je le dis comme je le pense, mais c’est une vie pas bien intéressante… Non, je préférerais carrément qu’elles apprennent à coudre à la machine, on se crève moins, c’est mieux payé, et c’est quand même un travail plus intéressant, non ?

Mimi fredonne Papa pique et maman coud.

MADAME LAURENCE. – Mécanicien (118) ? C’est un métier d’homme !

GISÈLE. – Dans la place où j’étais avant y avait des hommes et des femmes à la machine.

MADAME LAURENCE répète, obstinée. – C’est un métier d’homme.

MIMI. – Pourquoi, faut appuyer sur la pédale avec ses couilles maintenant ?

Madame Laurence pousse un « oh » de douleur pendant que toutes les autres éclatent de rire.

MADAME LAURENCE. – C’est agréable de discuter sérieusement avec vous, on voit tout de suite ce qui vous préoccupe…

MIMI. – Les couilles ? Ça me préoccupe pas plus qu’autre chose, plutôt moins… J’avais cru comprendre c’est tout…

MADAME LAURENCE, entre ses dents.



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