La sirène au ciné by Carter Brown

Auteur:Carter Brown [Brown, Carter]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier, Humour, Littérature australienne
Éditeur: Gallimard - Série Noire
Publié: 2014-10-13T23:00:00+00:00

VIII

C’est un de ces bars calmes et aérés des abords de Wilshire Boulevard dont l’atmosphère détend tout un chacun. Tout un chacun, sauf Morris Darrach, faut-il préciser. Il est assis de l’autre côté de la table, face à moi, il a la mine d’un quidam qui vient de se faire arracher trois dents sans que personne n’ait songé à lui administrer un anesthésique.

— Je suis mort ! s’exclame-t-il avec emportement. Je devrais sortir d’ici et aller me couper la gorge sur-le-champ. Ce serait plus simple !

— C’est donc si grave que ça ? je lui demande.

— Dan Larsen va fournir les fonds pour le film ? (Il émet un affreux gargouillement qui, j’imagine prudemment, prétend se faire passer pour un rire cynique.) Vous savez ce que ça signifie ? Il me dépouillera de tout, jusqu’à mon dernier sou ! Mon dernier centime ! Et si j’essaie de discuter, il m’enverra un de ses malfrats pour m’appliquer le même traitement qu’à Willie Schultz !

— Vous tenez à continuer à pleurnicher ? je demande patiemment. Ou vous voulez que je retrouve Gloria Klune ?

— Pour le compte de qui ? fait-il en haussant les épaules avec indifférence. Pour celui de Dan Larsen, par pour le mien. Je suis fini !

— O.K., je râle. Ainsi, me voilà revenu à mon premier et unique client. Adieu, monsieur Darrach. Ça n’a pas été drôle du tout de faire votre connaissance.

— Attendez ! (Les lourdes paupières se ferment, se rident frénétiquement l’espace de deux secondes, puis se rouvrent lentement.) Peut-être y a-t-il quelque chose que je pourrais sauver du naufrage de ma vie. Sans Gloria Klune, il n’y a rien pour personne, c’est exact ?

— Il y a un service que vous pourriez me rendre, monsieur Darrach, dis-je avec gravité. Je sais que ce serait contraire à tous vos instincts naturels, mais il me semble que vous devriez essayer.

— J’essaierais n’importe quoi, dit-il d’une voix étranglée. Que voulez-vous que je fasse ?

— Cesser de me mentir, je gronde.

— Moi, vous mentir, à vous ? proteste-t-il en ouvrant les yeux tout grands. Quand vous ai-je jamais menti, Holman ?

— Le passé de Gloria Klune. Vous m’avez dit que vous l’avez appris de la bouche de Willie Schultz. Vous m’avez dit que Jason Travers en mourrait s’il savait la vérité. Jason Travers m’a fourni un graphique détaillé de ses antécédents. Willie a été son maquereau jusqu’au jour où Larsen l’a reprise à son compte. Et Willie aurait dû perdre la tête pour vous dire la vérité. Alors allez-y donc, dis-je en haussant les épaules avec découragement. Racontez-moi qu’il avait perdu la tête !

Il y réfléchit un moment. Je vois qu’il réfléchit, car le côté gauche de sa figure se contracte nerveusement. Pour que la main droite de Morris Darrach sache ce que fait sa main gauche, le seul moyen, autant dire, serait de la lui couper au ras du poignet.

— Je vais vous parler à cœur ouvert, Holman, dit-il enfin.

— Allez-y pour de bon, je grince. Vous n’avez jamais parlé à cœur ouvert à personne.

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