Mattawa. À contre-courant by Benoît Cazabon

Mattawa. À contre-courant by Benoît Cazabon

Auteur:Benoît Cazabon
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 9782894235225
Éditeur: Prise de parole


QUATRE

Une école, une demeure à nous

Les gens que nous fréquentions étaient chaleureux à notre égard. Je crois qu’ils étaient fidèles, d’abord, aux personnes que nous étions. Des amis nous reconnaissaient comme couple dans leur vie privée et respectaient notre choix. Mais quel était-il, ce choix? En avions-nous discuté? L’avions-nous arrêté? Il me semble que j’en avais parlé davantage à d’autres qu’avec toi. Ce n’est pas que je voulais trahir notre intimité, mais le sujet avait surgi à partir du moment où j’avais révélé notre liaison aux autres. Je comprenais ce que représentaient dans la vie de notre village les gestes de chacun. Il y avait un bon côté à cette connivence, à condition de se trouver du bon côté, justement. Toute déviance, que ce soit en raison du rang, de l’origine, du sexe ou de la langue, causait un problème pour tous. Certaines déviances paraissaient normales, alors que d’autres étaient impensables! Nous frayions du côté de ce qui n’avait pas été prévu. Puisque nous n’en parlions pas, je me sentais coupable de m’être révélé à d’autres. Un éléphant blanc grossissait à vue d’œil et nous le contournions comme si de rien n’était.

Le sujet me brûlait les lèvres, mais je me comportais avec toi comme si j’avais peur de la réponse que tu pouvais me donner. Il me semblait que si je brusquais les étapes, si je provoquais la question, tu te retirerais. Je me retenais et créais l’enfer qui épuisait mes nerfs. Nous parlions ouvertement des façons les plus efficaces de tirer avantage des circonstances pour nous fréquenter. Nos vues sur l’avenir s’arrêtaient là.

Tu insistais pour dormir dans mes appartements tous les soirs. Tu n’y percevais aucun sujet d’inquiétude. Toi et Maryse aviez mis au point un plan infaillible, m’avais-tu assuré sans me l’expliquer. Moi, j’étais malade de remords, j’avais peur du scandale ou d’une visite inopinée de Townsend. J’y laissais ma santé alors que tu restais insouciante. Ce n’est que des années plus tard que j’ai compris l’astuce, grâce à une indiscrétion de Maryse : vous aviez recruté une fille, celle qui logeait au no 26, afin qu’elle s’occupe de ton mari tous les soirs. C’était bien trouvé! Elle passait une nuit de sommeil payée et ne risquait pas grand mal, Townsend étant toujours soûl. Pendant tout ce temps, lui croyait te tromper!

Aujourd’hui, je saisis que ma vie avec toi dépendait de manœuvres mobilisant plusieurs personnes dans un mensonge collectif. Je suis en mesure de distinguer la source de l’ambiguïté qui me paralysait. Toi et Maryse aviez concocté un plan sans que j’en sois informé. Cela allait de soi! Moi, je m’inquiétais de nos sorties et des aveux que j’avais faits à quelques connaissances. Deux poids, deux mesures!

J’enrage de voir combien mon manque de vigilance s’étendait à toutes les sphères de ma vie. Pourquoi assumais-je de porter sur mes épaules les situations humiliantes de l’école? La clandestinité nous guette partout ici. Moi, les Canadiens français. Serait-il abusif de parler de notre présence en cette terre comme celle d’une diaspora?

Je



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