La Forge Des épreuves by K. J. Parker

Auteur:K. J. Parker [Parker, K. J.]
Format: epub
Tags: La trilogie de Loredan, Fantastique, La trilogie de Loredan
Éditeur: Bragelonne
Publié: 2011-11-19T15:38:36+00:00

Chapitre douze

— Cela ne fait que prouver ce que j’ai toujours affirmé à notre sujet, dit Eseutz Mesatges en regardant le chargement des bateaux ravitailleurs près du quai de la Cité. Nous ne sommes pas de vrais commerçants, nous sommes des romantiques. Nous jouons aux marchands parce que c’est amusant, tout comme les autres pays jouent à se faire la guerre. Nous ne sommes pas dans les affaires pour gagner de l’argent, ce n’est qu’une excuse pour prendre du bon temps et vivre des aventures excitantes.

— Alors là, je ne…

Athli interrompit Venart Auzeil avant qu’il aille plus loin.

— Ne fais pas attention à elle, Ven. Ce n’est que de la provocation. N’est-ce pas, ma chère ?

— Pas du tout ! (Eseutz se percha sur le coin d’une grosse balle de laine d’Ap’ Imaz et posa les coudes sur ses cuisses.) Je pense chaque mot que je viens de dire. Si l’argent nous intéressait tant que ça, nous serions bien tristes à l’heure qu’il est, parce que ce merveilleux contrat est sur le point de s’achever ; mais je sens des vagues de soulagement monter de vous comme les odeurs de cuisine par un chaud après-midi. Vous en aviez assez d’attendre les bras croisés et de recevoir l’argent du préfet. Maintenant, il se passe enfin quelque chose : vous êtes impatients de voir éclater une bonne petite guerre et de récupérer vos navires pour quitter cette minuscule île sans intérêt et parcourir de nouveau le vaste monde. (Elle grimaça un sourire.) Reconnaissez-le, j’ai raison. Nous sommes sans doute conditionnés par la force de l’habitude.

— Oui, Eseutz, dit Athli d’une voix sévère. Si tu veux.

Pourtant, elle devait avouer qu’il y avait une certaine part de vérité dans les paroles de son amie. En tant que non-Îlienne, elle le sentait. Les autres en étaient incapables, comme on pouvait s’y attendre.

Le quai de la Cité tenait son nom de la route commerciale empruntée par les navires qui y accostaient pour assurer l’échange régulier de produits avec Périmadeia. Lors de sa construction, il n’y avait pas eu besoin de préciser de quelle cité il s’agissait ; c’était comme si vous parliez du ciel : c’était évident. Depuis la Chute – sur Île, ce terme était sans équivoque, lui aussi –, l’activité de cette partie du port avait baissé d’un tiers. Seuls les cargos de Colleon y faisaient encore escale ; les navires îliens assurant la liaison avec Shastel, l’empire ou l’Ouest partaient désormais du quai de la Mer ou du Drutz. Aujourd’hui, le quai de la Cité était de nouveau en effervescence et les gens disaient que cela leur rappelait le bon vieux temps – c’était un signe, ajoutaient-ils d’une voix chargée d’espoir : le bureau des Provinces finirait par reconstruire Périmadeia et rouvrirait ses innombrables manufactures et ateliers.

— Il est grand temps qu’ils draguent le Canal, remarqua Venart qui en était resté à son idée première. Depuis la Chute, il s’est ensablé. Si on doit réutiliser le quai…

Athli sourit.

— C’est un peu prématuré, tu ne crois pas ? La flotte n’a pas encore appareillé et tu rêves déjà à de nouvelles affaires.

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