Indice des feux by Antoine Desjardins

Indice des feux by Antoine Desjardins

Auteur:Antoine Desjardins [Desjardins, Antoine]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Nouvelle(s), Écologie, Environnement, Littérature québécoise
Éditeur: La peuplade


Le génie frôle toujours la folie.

Une phrase anodine qui, si elle m’avait laissé indifférent à l’époque, avait manifestement implanté dans mon esprit une crainte latente qui germait depuis peu. En relisant ses derniers messages, je me demandais si, au gré de ses tribulations, Louis n’en était pas venu à perdre l’équilibre.

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Durant les derniers mois de son voyage, Louis ne m’écrivait pratiquement plus du tout. Je m’étais presque résigné à l’idée qu’il ne nous reviendrait pas. Il s’installerait de façon permanente je ne sais trop où au fin fond de l’Australie occidentale et je ne le reverrais tout au plus qu’une fois par an, si bien sûr je parvenais un jour à prendre deux semaines de congé consécutives (depuis son départ, j’avais obtenu deux nouvelles promotions, pour décrocher un poste de cadre). Mes sœurs se faisaient un sang d’encre pour notre petit frère. Contrairement à moi, qui tentais de respecter son rythme de correspondance, elles lui écrivaient chaque semaine plusieurs courriels inquiets, auxquels elles n’obtenaient (quand elles en obtenaient) que des réponses brèves, allusives et insaisissables. Mes parents, eux, n’en pouvaient plus. D’inconcevable, la situation était devenue urgente, intenable. Ils étaient si anxieux à l’idée d’avoir failli, d’avoir échappé leur petit prodige en le laissant partir (comme si c’était de leur ressort), que le trip de hippie (une formule si souvent martelée qu’elle était en voie de devenir une appellation contrôlée) de Louis était officiellement un sujet tabou, à éviter à tout prix en présence de mes parents.

À notre grand soulagement, mon frère est finalement rentré au bercail, peu avant Noël 2013 (de cela, je me souviens précisément : le Noël suivant, Audrey était enceinte de Laure). Alors que nous appréhendions de le retrouver légèrement altéré, Louis était toujours, sans aucun doute, Louis. Certes, il arborait désormais une barbe épaisse et un bronzage marqué, portait les cheveux mi-longs (ce qui contribuait à consolider certains préjugés de mes parents), comptait quelques rides de plus au coin des yeux et semblait avoir perdu quelques kilos, mais hormis ces quelques signes de transformation physique, il semblait être demeuré le même.

Lors de notre traditionnel souper de Noël, il s’était montré assez loquace (considérant son introversion innée), acceptant de répondre sans rechigner à nos nombreuses questions, de nous parler des moments marquants de son voyage et des gens qu’il avait rencontrés, de nous montrer quelques photos, de décrire les paysages, la nourriture, la faune de chacun des pays qu’il avait explorés, qu’aucun de nous n’avait encore visités. À l’écouter, on constatait aisément toute la signification que cette expérience prenait pour Louis. Je me réjouissais pour lui.

En fin de soirée, il a entrepris de se racheter auprès de mes parents en nous annonçant que les dernières semaines qu’il avait passées en Australie occidentale, au cours desquelles il avait vu parmi les plus belles merveilles naturelles du monde, mais aussi découvert des territoires complètement défigurés par des projets miniers d’une sauvagerie sans nom, étendant leurs crevasses tentaculaires jusque dans la cour arrière des habitants du coin, lui avaient fait prendre conscience qu’il était temps pour lui de renouer avec le droit.



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