In Memoria by Sylvain Copvante

Auteur:Sylvain Copvante
La langue: fra
Format: epub
Tags: roman fiction
ISBN: 978-2-9819930-1-4
Éditeur: sylvain lafontaine
Publié: 2021-04-29T00:00:00+00:00

17

POINT DE BASCULE

Le Zoom avait bien changé depuis l’époque glorieuse de mon université. Jadis haut lieu de la beuverie (dans le passé, sa morphologie en forme de bouteille le désignait comme L’ÉTABLISSEMENT dans un rayon de trente kilomètres), cette honorable institution avait, désormais, perdu plusieurs « litres » de prestige. Le bâtiment avait troqué sa forme de bouteille contre quatre murs de briques verdâtres qui cachaient imparfaitement l’ancienne silhouette arrondie de l’édifice. Certaines de ses fenêtres avaient été barricadées, subissant les ravages du temps et des vandales. Seule l’enseigne au-dessus de l’entrée déformée concordait avec mon souvenir.

J’eus la confirmation de l’ampleur de la transformation lorsque je poussai la porte aux couleurs psychédéliques. Le Zoom n’était plus un débit de boisson ; il était devenu un asile d’aliénés. Une vague odeur de formol m’assaillit, caractéristique des établissements occupés par les câblés pathologiques. En avançant vers le guichet de réception, j’entrevis des épaves humaines étendues sur des brancards qui baignaient dans la clarté irréelle de néons bleuâtres suspendus au plafond. Tous gisaient, immobiles, les yeux dans le vague, les traits tirés par une jouissance difficilement compréhensible. Chacun était relié, par un petit trou percé dans le cerveau, à un câble fixé au mur. Le plus éprouvant était le silence qui planait : un silence intense, absolument insupportable. Seuls quelques gémissements venaient rappeler que nous n’étions pas dans une morgue, mais bel et bien à l’intérieur d’un centre de divertissements licencié.

En entrant, j’avais ressenti un léger picotement au niveau de la nuque. Comme toute organisation prohibée qui se respecte, celle-ci était protégée par un dispositif alertant les occupants de la présence, sur les nouveaux arrivants, de caméras, mouchards, ou armes portatives. Je suspectais d’ailleurs cette vénérable institution de faire partie du patrimoine de Mario Leturieur. En fait, j’en avais la certitude. Le chef des Pics de l’Enfer détestait la concurrence. Il n’aurait pas permis l’émergence d’un concurrent à l’intérieur de son territoire.

Un bruit de pas vint violer le silence sépulcral ; ceux du distingué propriétaire de l’établissement, probablement. Il avait les cheveux coupés ras en forme d’échiquier (pauvre coiffeur !), des vêtements sortant tout droit du moyen âge et un visage de rapace. Ses yeux semblaient vouloir sortir de leur orbite et me jaugeaient en calculant l’argent que je pouvais dépenser au sein de cet honorable endroit.

— Salut. Débit normal ou câble interactif ?

— Je dois rencontrer un ami. Je m’appelle…

— Pas de nom ! souffla-t-il en regardant vivement de gauche à droite. On m’a prévenu de votre visite. Allez vous étendre sur cette couchette et faites comme les autres, m’ordonna-t-il en désignant de la tête un brancard libre au fond de la pièce.

J’allais manifester mon opposition, mais je me ravisai en remarquant les tremblements qui animaient les mains de mon interlocuteur. Ces tremblements n’étaient pas dus à un sevrage ou à une quelconque maladie. Cet homme avait peur. Sa peau luisait de transpiration, sa posture manifestait des signes de replis éminents. Sa crainte avait-elle pour cause ma présence ?

Je me dirigeai donc

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