Figures 5 by Gérard Genette

Figures 5 by Gérard Genette

Auteur:Gérard Genette
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions du Seuil


Malgré (ou plutôt : à travers) l’ellipse finale, le lecteur doit évidemment comprendre que le voyageur blanc s’aperçoit que son reflet dans la glace est celui d’un Noir, et donc qu’il est lui-même un Noir. Ce fait, disons surprenant, est susceptible d’au moins deux « explications », dont l’une relèverait simplement, si j’ose dire, du fantastique : le voyageur, pendant la nuit, serait effectivement devenu un Noir – sans doute en punition pour ce stratagème illégal (ce genre de maquillage n’était guère toléré que dans les spectacles de Minstrels du début du XXe siècle, faux Noirs grimés pour le divertissement des Blancs, comme Al Jolson en 1927 dans le film The Jazz Singer) ; « simple » fantastique (ou « merveilleux »), parce que ce genre de métamorphose est couramment reçu dans une tradition légendaire, ou littéraire (celle du conte), qui remonte assez loin pour légitimer et vraisemblabiliser, contre toute vraisemblance naturelle, des effets de ce genre. Mais cette réduction à un type depuis toujours banalisé est formellement exclue par la dernière phrase, qui impose une tout autre explication : si le garçon d’étage « s’est trompé de chambre », c’est (je vais commenter lourdement, comme on ne peut manquer de le faire dans ce genre de cas) que le voyageur du compartiment n’est pas le faux Noir de l’hôtel, mais une autre personne, en l’occurrence – et d’ailleurs nécessairement – un vrai Noir. Seulement, ce vrai Noir vient de tenter de se débarbouiller d’un cirage de faux Noir, comme s’il ne savait pas qu’il était un vrai Noir, et d’ailleurs, la tenue des phrases qui précèdent, avec ce pronom personnel « il » qui assure son identité tout au long du récit, nous oblige bien à penser que c’est le même personnage qui découvre dans une glace qu’il est un autre, et donc que le vrai faux Noir qu’il est aussi est sans doute encore endormi dans sa chambre d’hôtel. Il ne s’agit plus de métamorphose surnaturelle, mais, plus perversement (plus facilement, si vous voulez), d’un tour de passe-passe narratif et grammatical qui nous dissimule jusqu’au dernier moment une substitution, mais une substitution qui reste impensable, puisque le vrai Noir sorti de sa chambre (la « mauvaise ») endosse jusqu’au bout (compris) la pensée de l’autre, resté dans la sienne, la « bonne ». En vérité, aucune interprétation ne peut rendre compte, même en recourant à l’alibi du fantastique, de ce que prétend ce récit, et que seul un récit verbal peut prétendre, en vertu des capacités de tromperie, ou d’ambiguïté, qui sont celles de la langue, et de la langue seule.

Je reviens en arrière. L’interprétation banalement fantastique que le texte exclut formellement n’aurait rien de très comique, sinon peut-être l’idée qu’une puissance surnaturelle punit le voyageur de sa douteuse supercherie en le prenant au piège même de cette supercherie – encore un arroseur arrosé, puni-par-où-il-a-péché, ou quelque variation sur le thème bien connu de nos grand-mères : « Ne fais pas cette grimace, tu vas rester comme ça



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