Dans les secrets du Tour de France by Guimard

Auteur:Guimard
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Grasset

Les évidences de Bernard Hinault

(Pourquoi l’héritier était un géant)

Le cyclisme avait bien changé, lorsque, en 1977, Eddy Merckx laissa entendre publiquement que la fin de sa carrière approchait. Déclinant, fatigué, usé, le Cannibale allait refermer le chapitre de sa propre histoire qui compterait parmi les plus prestigieuses du Grand Livre de notre aventure commune, celle du vélo. Une trajectoire prenait fin. Une autre histoire s’ouvrait, moins figée dans ses habitudes. Je n’y serais pas pour rien.

Il restait bien sûr les Thévenet, Zoetemelk, Maertens et quelques autres champions, mais l’effacement programmé de Merckx et de Poulidor signait l’arrêt définitif d’une époque essoufflée. Les monstres sacrés seraient-ils remplacés ? Comment ? Et par qui ? Personne n’a de recette miracle et je savais qu’il était impossible de « fabriquer » et encore moins « d’inventer » des géants d’exception sur commande. C’est d’ailleurs heureux. Où serait sinon leur superbe et incomparable grandeur ?

Comme dans toutes les phases de transition, le peloton, résigné, se préparait à attendre un nouveau maître-dominateur, sans croire une seule seconde, cela va sans dire, qu’un « nouveau Merckx » puisse naître un jour. Mais je savais que cet homme-là existerait. Mieux, il existait déjà puisqu’il était dans le peloton. Il s’appelait Bernard Hinault.

Depuis des années, je croyais en lui et je le disais à mes proches, à mes dirigeants, pour les convaincre que je détenais une pépite. Je répétais souvent : « Vous verrez, il va tout gagner. » Et en effet, il a tout gagné. Et pour que les choses soient bien claires, je répète aujourd’hui ce que j’ai toujours dit : s’il avait voulu – mais à quoi cela aurait-il servi ? –, il aurait pu avoir le palmarès de Merckx et peut-être mieux encore…

L’aventure de Bernard Hinault avec le grand public et le monde du vélo débuta vraiment en avril 1977. C’était son premier Gand-Wevelgem et il allait frapper les esprits comme peu l’ont fait avant lui. Lorsqu’il plaça une attaque mortelle, à trente kilomètres de l’arrivée, ses adversaires ne le connaissaient que de réputation. Le « gamin » avait déjà un beau palmarès chez les jeunes, d’accord, mais de là à se transformer en vainqueur de classiques, il ne fallait pas exagérer. Aussi, en le voyant filer à l’anglaise, et même si tous se rendaient compte qu’il roulait vite, cet « effronté », aucun de ses compagnons d’échappée n’imaginait ce qui allait se produire. Il y avait là six ou sept coureurs, parmi lesquels Godefroot, Teirlinck, Dierickx, etc., tous persuadés que Hinault ne tiendrait pas, qu’il allait fatalement coincer, bref, qu’ils iraient le rechercher sans trop d’efforts. Alors ils l’ont laissé faire, histoire de le laisser « mourir » à trente ou quarante secondes devant eux… Seulement voilà, même avec trente petites secondes, c’était encore trop. Car Bernard n’a pas coincé, résistant au rythme régulier de ses poursuivants, qui pourtant se relayaient sévèrement.

A quatre bornes du but, l’affaire était réglée. Le premier qui aurait osé faire l’effort se suicidait. Pour revenir sur un Hinault

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