Coquecigrues by Jules Renard

Coquecigrues by Jules Renard

Auteur:Jules Renard [Renard, Jules]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Nouvelles - Contes
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2014-08-28T17:52:12+00:00


LE FLOTTEUR DE NASSE

À Pierre Valdagne.

Bien que M. Mignan n’eût rien lancé et se fût contenté de faire un signe, Levraut sauta dans l’Yonne, chercha et trouva quelque chose : un flotteur de nasse. Il le happa et voulut le rapporter, mais le flotteur était solidement attaché, la nasse retenue au fond par de lourdes pierres et Levraut dut nager sur place.

– Laisse donc, imbécile, lui dit M. Mignan, tu vois bien que c’est un flotteur de nasse.

Et comme Levraut s’entêtait :

– Mon pauvre chien, que tu es bête ! Allons, lâche ça tout de suite et viens ici !

Levraut, dévoué, comprenait l’impatience de son maître et redoublait d’efforts.

– Si tu t’amuses, dit M. Mignan, reste ; j’ai le temps. Au moins, tu te seras lavé.

Il s’assit, goguenard, observa son chien et s’aperçut que l’affaire tournait mal. Levraut se fatiguait visiblement. Parfois, il « buvait » avec un grognement sourd. Opiniâtre, il serrait toujours le morceau de bois entre ses dents. Il donnait de violents coups de tête dans le vide. Ses pattes, gênées par la corde de la nasse, par les herbes, battaient l’eau, blanche d’écume. Bientôt il n’en pourrait plus. La « bonne bête » mourrait victime du devoir.

– Fichu, mon chien ! pensa M. Mignan déjà bouleversé.

Il lui adressa des prières, des injures, lui dit qu’il n’avait jamais vu un chien aussi stupide.

– Et c’est ma faute ! me voilà propre : je noie mon chien, afin de le baigner, moi !

Espérant lui faire lâcher sa proie fatale pour une autre, il jeta des morceaux de bois à droite et à gauche.

Encore ! soit : tout à l’heure, Levraut les rapporterait, après, quand il aurait déposé celui-ci d’abord aux pieds de son maître. Et « l’intelligent animal » hurlait d’impuissance.

Comment le sauver ! Une mauvaise barque se trouvait là, couchée sur le flanc, mais amarrée, cadenassée, sans rames, à moitié pleine d’eau croupie, inutile, exaspérante.

Une dernière fois, M. Mignan cria :

– Veux-tu lâcher ça, oui ou non ?

Levraut répondit par une sorte de râle et roula des yeux qui implorent. Il enfonçait.

M. Mignan se roidit, arracha la barque, la mit à flot, d’un pied entra dedans, et de l’autre se poussa du côté du chien. Il avait si adroitement manœuvré qu’il put lui appliquer, au passage, deux fortes claques sur le museau.

Ainsi corrigé, Levraut enfin ouvrit la gueule d’où tomba le flotteur de nasse, et se sauva seul au bord. Cependant, la barque s’arrêta, son élan mort, et tournoya, folle, au gré du courant. M. Mignan, mouillé jusqu’aux genoux, perdait l’équilibre, et, tandis qu’incapable de se diriger, il barbotait à égale distance des deux rives, Levraut, sur le derrière, se séchait au soleil, luisait, regardait son maître et, à son tour, lui « aboyait » de revenir.



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