Sur la route des invisibles by Claire Lajeunie

Auteur:Claire Lajeunie [Lajeunie, Claire]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Témoignage
ISBN: 9782841868025
Éditeur: Michalon
Publié: 2015-09-09T03:00:00+00:00

CHAPITRE 7

L’ENFER DU MÉTRO

Catherine, Julie, Sophie… Toutes m’ont parlé du métro. Un lieu où s’abriter pour certaines, un lieu d’angoisses pour d’autres. Un endroit qui devient une évidence lorsque l’on ne sait pas où aller. On s’y protège de la pluie et du froid mais les ravages sur le plan physique et psychologique sont plus dramatiques encore.

Forcément, j’ai eu envie d’aller découvrir cette vie souterraine, d’y plonger moi aussi. Mais pour cela, il fallait que je trouve une nouvelle approche car aucune des femmes que j’ai rencontrées n’a voulu m’y emmener.

J’avais depuis longtemps entendu parler d’un médecin alcoologue, Patrick Henry, surnommé « le docteur des clodos ». Dans les années 1980, il a ouvert à Nanterre la première consultation en Europe réservée aux SDF. Il a reçu plus de 50 000 patients, jusqu’à un burn-out qui l’a poussé à modifier sa trajectoire professionnelle. Depuis plus de vingt ans, il est chargé de la mission de lutte contre la grande exclusion à la RATP et a créé le Recueil social. Ce service ramène les réfugiés à la surface et les convainc de rejoindre les centres d’hébergement prévus pour eux.

Avant de m’embarquer dans cet univers, j’ai trouvé important de le rencontrer pour qu’il me fasse part de son expérience et de son analyse. Au milieu de l’hiver, j’ai rendez-vous avec Patrick Henry dans son bureau au siège de la RATP. Il fait toujours très froid à Paris. Je vis depuis plusieurs mois au plus près des femmes sans domicile et j’ai l’impression d’en avoir déjà beaucoup vu. Pourtant, je ne suis pas au bout de mes surprises, ni de mes peines. Je découvre un homme imposant et souriant à la poignée de main ferme. Je me présente et lui explique ma démarche. Il m’écoute attentivement et commence à me raconter son propre vécu et ses nombreuses années auprès des sans-abri. Il m’explique que, avec les SDF, il ne faut pas tricher et qu’eux n’ont pas de filtre : s’ils ont envie de vous dire que vous avez une sale gueule, ils n’hésitent pas. Il faut aussi être le meilleur clinicien possible, car on n’a pas le temps de proposer des examens supplémentaires. On se fie à nos sens : le toucher, l’odorat, l’ouïe.

Il me raconte qu’un jour il a reçu aux urgences un clochard avec un plâtre au bras qui le démangeait. Quand il a retiré le plâtre, il n’y avait plus rien en dessous. Tout était putréfié. Il ne restait qu’un vague réseau vasculaire qui alimentait la main. Je reste sans voix, et ce n’est qu’un début. Je lui demande de quelles pathologies souffrent les SDF. Il me répond qu’il est le plus souvent confronté à des brûlures : elles sont causées par les grilles de ventilation du métro. Ils s’y allongent pour dormir, généralement ivres, et sombrent dans un sommeil profond pendant lequel les mouvements physiologiques disparaissent. C’est de l’air sec à environ 23 °C qui émane des grilles. Associé à la compression du corps contre la grille et à sa durée d’immobilisation, cela aboutit à des escarres dramatiques.

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