Nietzsche by Paul Valadier

Nietzsche by Paul Valadier

Auteur:Paul Valadier
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782368475829
Éditeur: © 1998 Éditions Michalon
Publié: 1997-11-30T16:00:00+00:00


Noblesse du droit

1. Contre l’égalitarisme

Cette analyse du fondement de la justice éclaire les raisons d’une critique radicale des préjugés modernes. En particulier, Nietzsche s’oppose violemment à l’idée selon laquelle la justice trouverait sa source et son fondement dans l’égalité. Cette perspective détruit les conditions d’une justice impartiale, puisqu’elle met l’individu au centre du dispositif et qu’en conséquence l’égalité des droits promeut la convoitise comme référence centrale. La justice n’est alors plus voulue pour elle-même, mais c’est en elle l’individu qui cherche sa satisfaction. De but, elle devient moyen d’affirmation de soi de l’individu. « Revendiquer l’égalité des droits […] n’est plus du tout l’émanation de la justice, mais bien de la convoitise. Quand on montre de près des morceaux de viande saignante au fauve, puis qu’on les retire, tant qu’à la fin il se met à rugir, croyez-vous que ce rugissement veuille dire justice ? » (Humain, trop humain, I, § 451). Cette petite parabole, brutale dans son expression, indique le danger : l’excitation gratuite de la convoitise, l’attente démesurée et forcément déçue, tout cela place sur un terrain de revendications démultipliées et donc alimente l’insatisfaction du dernier homme, évoquée au chapitre précédent. Une telle « justice » ne régule plus et ne stabilise plus les rapports humains, elle devient source d’instabilité permanente pour la société et elle déstructure l’individu en légitimant par avance toutes ses attentes. Elle détruit la relation créancier-débiteur, en faisant de la société une débitrice permanente devant un créancier toujours insatisfait. Elle pervertit donc la relation fondamentale de toutes les autres relations sociales.

Des textes de la dernière période avancent aussi l’idée selon laquelle, puisque la justice crée une distance bénéfique entre les hommes (elle suppose médiation, temporisation, non-immédiateté de l’échange, comme on l’a vu dans le cas de la promesse), la nocivité d’une théorie égalitaire tient dans la suppression de la distance : tous les êtres se valent, sont identiques ou échangeables, et aucun ne supporte qu’une distance, une différence, une inégalité apparaisse entre eux. « L’“égalité”, une identification effective consciente, qui ne trouve son expression que dans la théorie des « droits égaux », relève essentiellement de la décadence : le fossé entre homme et homme, entre classe et classe, la multiplicité des types, la volonté d’être soi-même, de se distinguer, ce que j’appelle le pathos de la distance, voilà qui est propre à toute époque forte » (Crépuscule des idoles, « Divagations d’un intempestif », § 37). La loi posant la distance, l’idée d’égalité l’abolit ; elle réintroduit donc la confusion, l’indifférenciation, bref le chaos et la mort dans la société, tout ce que l’institution du droit avait cherché à écarter.

L’institution de la loi relève donc de ce que Nietzsche appelle la morale aristocratique, qu’il convient d’entendre au sens non sociologique qu’il lui donne : le terme allemand vornehm, utilisé souvent pour désigner ce qui est noble ou aristocratique, doit se traduire par « distingué », avec toutes les résonances multiformes de ce mot. Est distingué ce qui est séparé, non commun, à part,



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