Mensonges sur le divan by Yalom Irvin

Auteur:Yalom, Irvin [Yalom, Irvin]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Américaine
Éditeur: Bibliothèque de NicoCergy alias Poponne
Publié: 0100-12-31T23:00:00+00:00

Chapitre 10

Le mardi soir, juste avant six heures, Ernest reçut un coup de téléphone de la sœur d’Eva Galsworth, une de ses patientes.

« Eva m’a dit de vous appeler et de vous dire simplement « C’est l’heure. » »

Ernest rédigea un mot d’excuse pour son patient de dix-huit heures dix, le scotcha sur la porte de son cabinet et se précipita chez Eva, une femme de cinquante et un ans atteinte d’un cancer des ovaires déjà très avancé. Femme élégante et d’une grande dignité, Eva enseignait l’écriture. Souvent, Ernest se serait très bien vu vivre à ses côtés, si elle avait été plus jeune, et s’ils s’étaient rencontrés dans d’autres circonstances. Il la trouvait magnifique, il l’admirait énormément et ne cessait d’être émerveillé par son appétit de vivre. Depuis maintenant un an et demi, il avait fait feu de tout bois pour l’accompagner et la soulager dans ses derniers jours.

Avec de nombreux patients, Ernest faisait intervenir le concept de regret dans la thérapie. Il leur demandait d’analyser les regrets que suscitait leur comportement passé, et les exhortait à ne pas entretenir de nouveaux regrets dans l’avenir. « Le but, disait-il, est de vivre de telle sorte que dans cinq ans vous ne vous retourniez pas en regrettant amèrement les cinq dernières années qui se seront écoulées. »

De temps à autre, cette stratégie du « regret anticipé » se soldait par un échec cuisant. Mais la plupart du temps, elle fonctionnait. Néanmoins, personne ne s’y attela plus sérieusement qu’Eva, qui voulait absolument « sucer la moelle des os de la vie », comme elle disait elle-même. Au cours des deux années qui avaient suivi le diagnostic, sa vie avait été totalement bouleversée : elle avait rompu un mariage sans joie, eu de brèves aventures avec deux hommes qu’elle avait longtemps désirés, fait un safari au Kenya, écrit deux nouvelles et sillonné le pays pour rendre visite à ses trois enfants et à plusieurs de ses anciens étudiants.

Pendant tout ce temps-là, Ernest et elle avaient beaucoup travaillé. Et bien travaillé. Pour Eva, le bureau d’Ernest était devenu un refuge, un endroit où elle pouvait exprimer toutes ses peurs au sujet de la mort, toutes les angoisses macabres qu’elles n’osait pas partager avec ses amis. Ernest lui avait promis de tout aborder de manière frontale, de ne rien esquiver, enfin de la traiter non pas comme une patiente, mais comme une compagne de voyage et de souffrance.

Et il tint parole. Il décida de voir Eva à chaque fois en toute fin de journée, parce qu’il lui arrivait régulièrement de terminer leur séance totalement angoissé par la mort d’Eva, comme par sa propre mort. Il lui avait rappelé maintes et maintes fois qu’elle n’était pas complètement seule face à la mort, qu’elle et lui étaient confrontés à la terreur de la finitude, et qu’il l’accompagnerait aussi loin que la vie le lui permettrait. Lorsque Eva lui demanda de promettre qu’il assisterait à son dernier souffle, Ernest accepta. Ces deux derniers mois, elle était trop

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