Les Paradis Artificiels by Charles Baudelaire

Les Paradis Artificiels by Charles Baudelaire

Auteur:Charles Baudelaire [Baudelaire, Charles]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2011-05-22T06:19:24+00:00


Les Paradis Artificiels

cents livres, à la condition que le jeune comte de... (qui, par parenthèse, n’était guère plus âgé que lui), consentirait à en garantir le remboursement à l’époque de leur majorité. On devine que le but du prêteur n’était pas seulement de tirer un profit quelconque d’une affaire, fort minime après tout pour lui, mais d’entrer en relations avec le jeune comte, dont il connaissait l’immense fortune à venir. Aussi, à peine ses dix livres reçues, notre jeune vagabond se prépare-t-il à partir pour Eton.

Trois livres à peu près sont laissées au futur prêteur pour payer les actes à rédiger ; quelque argent est aussi donné à l’attorney pour l’indemniser de son hospitalité sans meubles ; quinze schellings sont employés à faire un peu de toilette (quelle toilette !) ; enfin la pauvre Ann a aussi sa part dans cette bonne fortune. Par une sombre soirée d’hiver il se dirige vers Piccadilly, accompagné de la pauvre fille, avec intention de descendre jusqu’à Salt-Hill avec la malle de Bristol. Comme ils ont encore du temps devant eux, ils entrent dans Golden-square et s’asseyent au coin de Sherrard-street, pour éviter le tumulte et les lumières de Piccadilly. Il lui avait bien promis de ne pas l’oublier et de lui venir en aide aussitôt que cela lui serait possible. En vérité c’était là un devoir, et même un devoir impérieux, et il sentait dans ce moment sa tendresse pour cette sœur de hasard multipliée par la pitié que lui inspirait son extrême abattement. Malgré toutes les atteintes que sa santé avait reçues, il était, lui, comparativement joyeux et même plein d’espérances, tandis que Ann était mortellement triste. Au moment des adieux, elle lui jeta ses bras autour du cou, et se mit à pleurer sans prononcer une seule parole. Il espérait revenir au plus tard dans une semaine, et il fut convenu entre eux qu’à partir du cinquième soir, et chaque soir suivant, elle viendrait l’attendre à six heures au bas de Great-Titchfieldstreet, qui était comme leur port habituel et leur lieu de repos dans la grande Méditerranée d’oxford-street. Il croyait ainsi avoir bien pris toutes ses précautions pour la retrouver ; il n’en avait oublié qu’une seule : Ann ne lui avait jamais dit son nom de famille, ou, si elle le lui avait dit, il l’avait oublié comme chose de peu d’importance. Les femmes galantes à grandes prétentions, grandes liseuses de romans, se font appeler volontiers miss Douglas, miss Montague, etc., mais les plus humbles parmi ces pauvres filles ne se font connaître que par leur nom de baptême, Mary, Jane, Frances, etc. D’ailleurs Ann était en ce moment affligée d’un rhume et d’un enrouement violents, et tout occupé dans ce moment suprême à la réconforter de bonnes paroles et à lui conseiller de bien prendre garde à son rhume, il oublia totalement de lui demander son second nom, qui était le moyen le plus sûr de retrouver sa trace au cas d’un rendez-vous manqué ou d’une interruption prolongée dans leurs rapports.



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