Les bémols de Staline by Bruno Monsaingeon

Les bémols de Staline by Bruno Monsaingeon

Auteur:Bruno Monsaingeon
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Fayard
Publié: 2020-01-29T12:32:48+00:00


* * *

B.M. Vous vous souvenez de la venue de Yehudi Menuhin à l’automne 1987, et des concerts que vous avez donnés avec lui à Moscou et Leningrad ?

G.R. Et comment ! C’était la première fois qu’il revenait en URSS, après de nombreuses années pendant lesquelles il avait été déclaré persona non grata.

V.P. Pour la seule raison qu’il avait pris la défense de Soljenitsyne et de Rostropovitch…

G.R. Ce fut un événement considérable. Malgré la richesse bien connue de la langue russe, il est difficile de donner à l’aide de mots une idée du contact noué avec ce grand artiste et cet homme extraordinaire. Ce fut pour moi personnellement un événement qui a marqué ma vie, comme il a marqué la vie musicale de Moscou, et même la vie du pays tout entier. Car sa venue n’a pas revêtu qu’une signification musicale. Yehudi ne s’est pas produit seulement comme l’immense violoniste qu’il est, mais comme un véritable ambassadeur de l’âme. Du coup, l’énorme retentissement de sa visite ne fut pas limité au domaine de la musique ; elle a eu aussi un impact politique. Pour nous, cela voulait dire que la « Perestroïka », c’était du sérieux. Sa présence renforçait notre espérance dans ce que des changements positifs allaient enfin se produire pour de bon en Union soviétique.

Mon orchestre, l’Orchestre du ministère de la Culture, était encore à ce moment-là un jeune ensemble. L’inspiration qui émanait de Menuhin fut quelque chose d’irremplaçable pour nous tous. Chaque musicien de l’orchestre comprenait avec qui il jouait, et non seulement essayait, mais ne pouvait pas faire autrement que de se donner entièrement.

V.P. Yehudi Menuhin, c’était une légende vivante. Et pas seulement pour les musiciens de ma génération qui n’avaient pu l’entendre lorsqu’il était venu pour la première fois en 1945, juste après la guerre, soit qu’ils n’étaient pas encore nés, soit qu’ils n’étaient encore que des bébés, comme c’était mon cas. Mais également pour le public au sens le plus large : sa venue en 1987 fut un événement d’une ampleur dont on a du mal rétrospectivement à se faire une idée.

G.R. En 1945, il avait précédé d’une année la visite à Moscou de celui qui avait été son génial mentor, Georges Enesco, dont je suis persuadé, après avoir dirigé ses symphonies, qu’il était d’abord compositeur, et seulement ensuite violoniste, pianiste, chef d’orchestre et professeur de Menuhin. À Moscou en 1946, il avait interprété au violon le concerto de Khatchatourian, et la Sonate de Franck, avec Lev Oborine au piano ; puis, cette fois comme pianiste, il avait accompagné David Oïstrakh dans la 3e Sonate de Grieg. Il dirigea aussi l’Orchestre d’État d’URSS dans la 5e Symphonie de Beethoven. J’ai assisté à sa répétition tout à fait insolite de cette symphonie. À la grande surprise de l’orchestre, il avait demandé qu’à la place du podium de chef d’orchestre, on installe un piano, sur lequel il exécuta brillamment, et de mémoire, l’œuvre de Beethoven de la première à la dernière note ; après quoi il se contenta de dire doucement à l’orchestre : « Voilà comment je me représente cette œuvre.



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