Le Diable au corps by Raymond Radiguet

Le Diable au corps by Raymond Radiguet

Auteur:Raymond Radiguet [Radiguet, Raymond]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Romans
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2011-09-22T17:55:25+00:00


Jacques ne comprenait rien à l’attitude de sa femme. Marthe, plutôt bavarde, ne lui adressait pas la parole. S’il lui demandait : « Qu’as-tu ? » elle répondait : « Rien. »

Mme Grangier eut différentes scènes avec le pauvre Jacques. Elle l’accusait de maladresse envers sa fille, se repentait de la lui avoir donnée. Elle attribuait à cette maladresse de Jacques le brusque changement survenu dans le caractère de sa fille. Elle voulut la reprendre chez elle. Jacques s’inclina. Quelques jours après son arrivée, il accompagna Marthe chez sa mère, qui, flattant ses moindres caprices, encourageait sans se rendre compte son amour pour moi. Marthe était née dans cette demeure. Chaque chose, disait-elle à Jacques, lui rappelait le temps heureux où elle s’appartenait. Elle devait dormir dans sa chambre de jeune fille. Jacques voulut que tout au moins on y dressât un lit pour lui. Il provoqua une crise de nerfs. Marthe refusait de souiller cette chambre virginale.

M. Grangier trouvait ces pudeurs absurdes. Mme Grangier en profita pour dire à son mari et à son gendre qu’ils ne comprenaient rien à la délicatesse féminine. Elle se sentait flattée que l’âme de sa fille appartînt si peu à Jacques. Car tout ce que Marthe ôtait à son mari, Mme Grangier se l’attribuait, trouvant ses scrupules sublimes. Sublimes, ils l’étaient, mais pour moi.

Les jours où Marthe se prétendait le plus malade, elle exigeait de sortir. Jacques savait bien que ce n’était pas pour le plaisir de l’accompagner. Marthe, ne pouvant confier à personne les lettres à mon adresse, les mettait elle-même à la poste.

Je me félicitai encore plus de mon silence, car, si j’avais pu lui écrire, en réponse au récit des tortures qu’elle infligeait, je fusse intervenu en faveur de la victime. À certains moments, je m’épouvantais du mal dont j’étais l’auteur ; à d’autres, je me disais que Marthe ne punirait jamais assez Jacques du crime de me l’avoir prise vierge. Mais comme rien ne nous rend moins « sentimental » que la passion, j’étais, somme toute, ravi de ne pouvoir écrire et qu’ainsi Marthe continuât de désespérer Jacques.

Il repartit sans courage.

Tous mirent cette crise sur le compte de la solitude énervante dans laquelle vivait Marthe. Car ses parents et son mari étaient les seuls à ignorer notre liaison, les propriétaires n’osant rien apprendre à Jacques par respect pour l’uniforme. Mme Grangier se félicitait déjà de retrouver sa fille, et qu’elle vécût comme avant son mariage. Aussi les Grangier n’en revinrent-ils pas lorsque Marthe, le lendemain du départ de Jacques, annonça qu’elle retournait à J…

Je l’y revis le jour même. D’abord, je la grondai mollement d’avoir été si méchante. Mais quand je lus la première lettre de Jacques, je fus pris de panique. Il disait combien, s’il n’avait plus l’amour de Marthe, il lui serait facile de se faire tuer.

Je ne démêlai pas le « chantage ». Je me vis responsable d’une mort, oubliant que je l’avais souhaitée. Je devins encore plus incompréhensible et plus injuste. De quelque côté que nous nous tournions s’ouvrait une blessure.



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