Le canadien français et son double by Jean Bouthillette

Le canadien français et son double by Jean Bouthillette

Auteur:Jean Bouthillette [Bouthillette, Jean]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai
ISBN: 9782764625392
Éditeur: Editions du Boréal
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Culpabilité

Sommés par la Raison de sortir de l’irréalité, nous avons abandonné nos terres idylliques, mais ce fut pour aborder, la mort dans l’âme, les terres étrangères de la réalité pancanadienne. Répudié notre passé, le présent n’en acquérait pas plus de sens.

Déchirés dans notre être et malheureux sans raison, nous sommes devenus le théâtre d’un conflit aveugle qu’un second mal, par sa violence retournée contre nous-mêmes, a rendu mortel. Car ce peuple tranquille que nous sommes, ou croyons être, fait illusion : notre silence n’est pas que résignation, il est cri retenu ; notre immobilité, agitation démente mais invisible ; notre mélancolie, comme notre stoïcisme, fureur rentrée. Mais s’arrêtant au bord des lèvres, nos éclats sont sans écho et nous déchirent sans que nous le sachions. Nous sommes le lieu clos d’un drame total, qui nous mure dans l’incohérence et nous coupe de la parole libératrice. Ce drame de la fureur et de la mort a été porté au théâtre, cette conscience nocturne de nos mornes délibérations. Mais nous ne nous sommes pas reconnus.

Deux femmes terribles, d’André Laurendeau, est une pièce en apparence à cent lieues de traiter de notre condition collective. Et pourtant, par sa structure et la nature secrète de ses débats, elle la dévoile et l’incarne.

Deux femmes se disputent la possession d’un homme qui leur échappe. Elles exigent un bien, commandent, se jugent et se griffent. Mais plus elles revendiquent l’homme, plus celui-ci se terre. L’une le dispute à l’autre au nom des liens sacrés du mariage, du devoir, de la fidélité ; l’autre, au nom de la vie, de la liberté, de la passion. Dressées l’une contre l’autre comme deux absolus. Devant l’impossible partage, l’homme se tue. Mais l’homme mort, elles ne se rendront pas compte que leur lutte non seulement fut vaine mais meurtrière.

Mais cet homme, qui est-il ? L’auteur ne nous le dit pas. Il ne vit pas lui-même le drame dont il est l’enjeu : il est là sur la scène, et jusqu’à l’obsession, mais présent par les autres qui le soupèsent, l’appellent et se le disputent. Cette absence du personnage central et cette tentative désespérée de le débusquer, de l’amener de l’extérieur à se manifester, laissent soupçonner chez cet homme sans visage une impuissance foncière à s’exprimer, un principe fondamental de mutisme, un germe de destruction, un mal insaisissable – ou inavouable comme une faute – et qui invite au secret de la tombe.

Cette absence et ce mutisme, c’est le visage caché de la pièce, son niveau non formulé, le drame même de l’homme et non plus son reflet déguisé sur les autres personnages. C’est ce substrat qui donne la clé de l’œuvre.

À la genèse de la pièce, il n’y a qu’un seul personnage : l’homme qu’on ne verra pas. Les deux femmes, qui au niveau de l’action vivent un drame qui leur est propre, au niveau silencieux n’existent pas mais incarnent le conflit même de l’homme dont elles miment, par personnages interposés, le désespoir et la fureur. Deux femmes terribles est ainsi nommée par antiphrase : c’est là le drame d’un homme seul et muré, d’un homme terrible d’inexistence.



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