La controverse de Valladolid by Jean-Claude Carrière

Auteur:Jean-Claude Carrière
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2015-02-21T05:00:00+00:00

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Au matin du jour suivant, tous les participants trouvent à leur place une dizaine de feuilles manuscrites, déposées par Sepulveda et ses assistants. Ces feuillets portent un titre : Douze objections. Ils ont été copiés pendant la nuit, distribués dès l’aube.

La première heure de la matinée, juste après la prière, est employée à la lecture. Chacun retrouve certains des arguments entendus dans les jours précédents. Quelques exemples les appuient. En affirmant qu’il appartient aux prélats, et surtout au pape, d’encourager les princes à se lancer dans des guerres justes, Sepulveda cite le pape Adrien, qui poussa Charlemagne à combattre les Lombards hérétiques ; il remonte même jusqu’à la Bible, jusqu’au chapitre 12 du Deutéronome, où Dieu prescrit très clairement de détruire les temples des païens, de briser leurs statues et idoles. Il y ajoute l’exemple fameux de Sodome et Gomorrhe, où Dieu n’hésita pas à lancer le grand feu du ciel pour anéantir les impies. Il cite aussi le Lévitique et d’autres textes de docteurs de la foi.

Fort de ces références, il affirme que si, au cours d’une guerre juste, des innocents sont tués, il s’agit là d’un événement accidentel, dont on ne peut faire aucun reproche aux princes et aux capitaines, qui ont le droit mais aussi le devoir de renverser les idolâtres.

Toute l’argumentation de Sepulveda s’articule autour de principes simples : les Indiens sont de grands pécheurs, fornicateurs et cannibales. Leur intelligence est grossière et leur sens artistique nul, ce qui les destine à la soumission, puisqu’ils sont des esclaves-nés. Ils se sacrifient et se massacrent les uns les autres, ce qui donne aux nations chrétiennes une forte raison d’intervenir, pour sauver des vies.

Enfin, comme le but suprême est l’évangélisation, il est clair (et prouvé) qu’une conquête militaire préalable rend les conversions plus faciles. Tous les conquérants victorieux pourraient en parler d’expérience. Les dieux qui voyagent à l’aise sont les dieux vainqueurs.

Après une heure de lecture et de consultations particulières, Las Casas lève la main. Il demande à répondre, en précisant qu’il peut énoncer immédiatement douze répliques en réponse aux douze objections.

Le cardinal ne semble pas pressé de lui accorder la parole.

— Ce n’est pas le moment, dit-il. Nous n’allons pas nous relancer sur un chemin déjà parcouru. Allons plutôt de l’avant. J’ai quelque chose à vous annoncer et à vous montrer.

Tous font silence. Deux nouveaux personnages sont là, assis sur un banc, les deux colons, que le légat a invités. Depuis une heure, certains des moines, qui reconnaissent les intrus de la veille, les regardent avec curiosité. Bien entendu, on ne pose aucune question. Ce n’est pas l’usage.

Le serpent à plumes a été poussé contre un mur, mais on ne l’a pas rebâché.

Tous attendent la déclaration annoncée par Roncieri. Quand il sent le moment propice, et l’attente bien mûre, il dit avec une sorte de sourire :

— Hier, le professeur Sepulveda nous a gratifiés d’un joli coup de théâtre en produisant son serpent à plumes. Il a obtenu son effet. Aujourd’hui c’est à mon tour de vous présenter ma surprise.

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